La DG du FMI, Kristalina GeorgievaLa DG du FMI, Kristalina Georgieva

Par Kristalina Georgieva, Directrice générale, FMI

Discours prononcé le 17 avril 2025 à Washington, aux assemblées de Printemps du FMI et de la BM

Bonjour. Je vous souhaite à tous très chaleureusement la bienvenue, et je vous remercie encore, Maria, pour vos aimables paroles.

Ici même, il y a six mois, je m’exprimais sur une croissance faible et une dette élevée. Mais j’évoquais aussi la résilience de pays qui surmontaient des chocs importants grâce à des fondamentaux solides et en faisant preuve d’agilité.

Cette résilience est de nouveau mise à l’épreuve par la remise à zéro du système commercial mondial.

Les marchés financiers deviennent plus volatils et l’incertitude qui entoure la politique commerciale est exceptionnelle. Voyez comme elle déborde de ce graphique.

Alors que les tensions commerciales s’intensifiaient, les cours mondiaux des actions chutaient, même si de nombreuses valeurs demeurent élevées. Voici un aperçu de l’activité sur le marché.

Cette situation nous rappelle que nous vivons dans un monde de revirements soudains et radicaux.

Elle nous impose de réagir avec sagesse. L’objectif d’une économie mondiale plus équilibrée et plus résiliente est à notre portée. Nous devons agir pour y parvenir.

Permettez-moi donc de vous exposer la situation en répondant à trois questions fondamentales. Quel est le contexte ? Quelles sont les conséquences ? Et surtout, que peuvent faire les pays ?

Première partie : quel est le contexte ?

Les tensions commerciales sont comparables à une casserole qui bouillonnait depuis longtemps et a fini par déborder.

Dans une large mesure, c’est le résultat d’une érosion de la confiance. Confiance dans le système international, et confiance entre les pays.

L’intégration de l’économie mondiale a permis à un grand nombre de personnes de sortir de la pauvreté et le monde est globalement plus prospère. Mais elle n’a pas profité à tous. Des communautés ont été vidées de leur substance par le déplacement des emplois à l’étranger. Les salaires ont reculé sous l’effet de la disponibilité croissante d’une main-d’œuvre bon marché. Les prix ont augmenté lorsque les chaînes d’approvisionnement mondiales ont été interrompues. Beaucoup rendent le système économique international responsable de l’injustice qu’ils ressentent dans leur vie.

Les distorsions du commerce—droits de douane et mesures non tarifaires—ont alimenté l’opinion défavorable sur un système multilatéral jugé incapable d’offrir des chances égales à tous.

Ces distorsions sont illustrées dans les deux graphiques suivants. Le premier nous montre que, pendant près de 20 ans, le monde a connu une bonne convergence vers des droits de douane effectifs faibles et stables aux États-Unis, mais que les progrès marquent le pas depuis une dizaine d’années.

Le deuxième graphique illustre le nombre, et non pas la taille, des nouvelles mesures de subventions nettes prises par grand pays.  Ce tableau est incomplet, mais il donne l’orientation générale : les barrières non tarifaires suivent une tendance ascendante.

Ce sentiment d’injustice nourrit parfois les discours selon lesquels nous respectons les règles du jeu pendant que d’autres contournent le système sans être sanctionnés. Les déséquilibres commerciaux attisent les tensions commerciales.

C’est alors que la sécurité nationale entre en jeu. Dans un monde multipolaire, la question de savoir où les choses sont fabriquées peut importer plus que celle de savoir combien elles coûtent. Suivant la logique de la sécurité nationale, une vaste gamme de biens stratégiques, qui vont des puces électroniques à l’acier, doivent être fabriqués localement, et il faut en payer le prix. L’autosuffisance fait son retour.

Ces préoccupations, ajoutées les unes aux autres, ont bouillonné, et fini par déborder, nous laissant dans un monde où l’on prête davantage attention au secteur manufacturier qu’à celui des services, où les intérêts nationaux priment sur les enjeux mondiaux, et où les mesures volontaristes déclenchent des réactions volontaristes.

Deuxième partie : quelles sont les conséquences ?

En bref : elles sont importantes.

Commençons par les droits de douane. Si l’on rassemble toutes les majorations des droits de douane, les pauses, les escalades, les exonérations, annoncées récemment, il apparaît clairement que les droits de douane effectifs imposés par les États-Unis ont atteint des niveaux jamais vus depuis plusieurs générations. D’autres pays ont réagi.

Il y a aussi des effets de contagion internationaux. Pendant que les géants se confrontent, les petits pays sont pris dans des contre-courants. La Chine, l’Union européenne et les États-Unis, dont les importations sont relativement faibles par rapport à leur PIB, sont néanmoins les trois principaux importateurs mondiaux. Les conséquences ? La taille est importante—leurs mesures se répercutent sur le reste du monde.

Les petits pays avancés et la plupart des pays émergents sont davantage tributaires du commerce pour alimenter leur croissance. Ils sont donc plus exposés, y compris au durcissement des conditions financières. Les pays à faible revenu sont confrontés à la difficulté supplémentaire de l’effondrement des flux d’aide de la part des pays donateurs qui se recentrent sur des enjeux nationaux.

Quelles seront les répercussions de ces tensions ? Permettez-moi de formuler trois observations :

  • Premièrement, l’incertitude a un coût. Les chaînes d’approvisionnement modernes sont si complexes que les intrants importés se retrouvent dans un large éventail de produits nationaux. Le coût d’un article peut subir l’effet de droits de douane dans des dizaines de pays. Dans un monde où les tarifs douaniers sont imposés de façon bilatérale, et peuvent chacun évoluer à la hausse ou à la baisse, il devient difficile de planifier quoi que ce soit. Résultat ? Des navires en mer qui ne savent pas à quel port accoster ; des décisions d’investissement différées ; des marchés financiers volatils ; une épargne de précaution qui augmente. Plus l’incertitude persiste, plus les coûts sont élevés.
  • Deuxièmement, la montée des obstacles au commerce frappe d’entrée de jeu. Les droits de douane, comme toutes les taxes, augmentent les recettes au détriment de l’activité, qu’ils réduisent et déplacent. L’histoire a d’ailleurs montré qu’une majoration des droits de douane ne pèse pas uniquement sur les partenaires commerciaux. Les importateurs en payent une partie sous forme d’une baisse de leurs bénéfices, tandis que les consommateurs en payent une autre via des prix plus élevés. En relevant le coût des intrants importés, les droits de douane agissent d’emblée. Bien entendu, si les marchés nationaux sont vastes, ils incitent également les entreprises étrangères à réagir en investissant dans le pays qui impose les droits de douane, ce qui crée de l’activité et des emplois. Mais cela prend du temps.
  • Troisième observation, le protectionnisme érode la productivité à long terme, en particulier dans les petits pays. Protéger les entreprises contre la concurrence dissuade d’allouer les ressources de façon efficiente. Les gains de productivité et de compétitivité obtenus autrefois grâce aux échanges se dissipent. L’esprit d’entreprise cède le pas à des demandes de régimes spéciaux d’exonérations, de protection et d’aide de l’État, ce qui nuit à l’innovation. Mais une fois encore, si les marchés nationaux sont grands et si la concurrence nationale est vive, on peut atténuer les effets négatifs.

En fin de compte, le commerce est comme un cours d’eau : lorsque les pays dressent des obstacles sous forme de droits de douane et de barrières non tarifaires, son flux se dévie. Certains secteurs, dans certains pays, risquent d’être inondés par des importations bon marché tandis que d’autres peuvent subir des pénuries. Le commerce continue, mais les perturbations sont coûteuses.

Nous quantifierons ces coûts dans la prochaine édition des Perspectives de l’économie mondiale, qui paraîtra en début de semaine prochaine. Nos nouvelles projections de croissance seront nettement révisées à la baisse, mais nous n’y parlerons pas de récession. Et nous réviserons à la hausse les prévisions d’inflation dans certains pays.

Nous lancerons une mise en garde : une incertitude durablement élevée augmente le risque de tensions sur les marchés financiers. Au début du mois, nous avons constaté des fluctuations inhabituelles de certains marchés névralgiques des obligations et des devises. Nous voyons ici que malgré une forte incertitude, le dollar s’est déprécié et la courbe des rendements des titres du Trésor des États-Unis prend la forme d’un sourire, mais ce n’est pas le genre de sourire que l’on souhaite voir. Ces fluctuations doivent avoir valeur d’avertissement. Si les conditions financières empirent, tout le monde en pâtit.

À l’inverse, les Perspectives de l’économie mondiale montreront aussi que si les pouvoirs publics prennent des mesures pour régler les divergences et rétablir l’équilibre, l’issue sera meilleure. C’est ce que je souhaite évoquer dans la dernière partie de mon intervention.

Que peuvent faire les pays ?

Beaucoup, et plus encore.

Premièrement, tous les pays doivent redoubler d’efforts pour mettre de l’ordre dans leurs affaires. Dans un monde où règne une incertitude accrue et où les chocs sont fréquents, on ne peut pas se permettre de différer les réformes visant à renforcer la stabilité économique et financière et améliorer le potentiel de croissance.

Les pays doivent relever les nouveaux défis en partant d’une situation plus fragile, et avec un fardeau de la dette publique beaucoup plus lourd qu’il y a quelques années à peine. C’est pourquoi la plupart des pays doivent prendre des mesures budgétaires résolues pour reconstituer une marge de manœuvre et retrouver des trajectoires d’assainissement progressives qui respectent les cadres budgétaires. Certains peuvent cependant subir des chocs qui exigent un nouveau soutien budgétaire ; ce soutien, s’il se révèle nécessaire, doit être ciblé et temporaire.

Pour protéger la stabilité des prix, la politique monétaire doit rester souple et crédible, et reposer sur un ferme attachement à l’indépendance de la banque centrale. Les banquiers centraux doivent surveiller d’un œil vigilant les données, y compris les anticipations d’une inflation plus élevée dans certains cas.

Dans le secteur de la finance, une réglementation et une supervision solides demeurent essentielles pour assurer la sécurité des banques, et les risques accrus provenant des établissements non bancaires doivent être suivis et maîtrisés.

Les pays émergents devraient préserver la flexibilité des taux de change pour amortir les chocs. Les décideurs peuvent s’inspirer de cadre stratégique intégré du FMI pour déterminer le moyen de prendre des mesures temporaires et le moment opportun pour le faire.

Un durcissement des contraintes budgétaires va obliger à faire des choix difficiles partout, mais surtout dans les pays à faible revenu. Dans ces pays, des recettes insuffisantes obligent à déployer davantage d’efforts pour mobiliser les recettes intérieures, mais exigent aussi un soutien des partenaires internationaux, tant pour améliorer les capacités à réformer que pour fournir une aide financière cruciale.

Les pays dont la dette publique n’est pas viable devraient agir préventivement pour la rendre soutenable, y compris, dans certains cas, en prenant la décision difficile de solliciter une restructuration. Je suis très heureuse d’annoncer que la table ronde mondiale sur la dette souveraine publiera bientôt une stratégie destinée aux autorités nationales qui envisagent de restructurer leur dette pour les aider à prendre des décisions.

Une augmentation du potentiel de croissance peut faciliter les arbitrages. L’économie des États-Unis a connu une forte hausse de la productivité, tandis que d’autres pays sont restés à la traîne. Comment peuvent-ils rattraper leur retard ? Par des réformes ambitieuses dans les domaines du système bancaire, des marchés des capitaux, des règles de concurrence et des droits de propriété intellectuelle, et en se préparant à l’intelligence artificielle, autant de mesures qui peuvent contribuer à rehausser la croissance. Souvent, l’État peut et doit faire beaucoup plus pour réduire les obstacles aux entreprises privées et à l’innovation. En d’autres termes, il ne faut pas se tirer une balle dans le pied.

Le FMI aidera les pays à faire face aux ajustements macroéconomiques et à faire progresser les réformes. Aujourd’hui, 48 pays font appel à notre soutien à la balance des paiements, dont l’Argentine, où des réformes énergiques axées sur le marché sont désormais appuyées par notre programme, le plus récent et le plus vaste.

Un deuxième objectif prioritaire, extrêmement important, est que les pays se concentrent de nouveau sur les déséquilibres macroéconomiques intérieurs et extérieurs.

Les équilibres intérieurs entre l’épargne et l’investissement sont fondamentaux, et l’un comme l’autre peut parfois prendre trop de poids. Nous montrons ici un échantillon de grands pays et blocs, et leurs taux d’épargne et d’investissement en pourcentage du PIB. Les facteurs de déséquilibre sont notamment les habitudes d’épargne des pays, les distorsions résultant de l’orientation de la politique, l’ouverture des marchés des capitaux, les régimes de change et la démographie. Les politiques budgétaires, monétaires, structurelles et de taux de change constituent des leviers essentiels. Lorsqu’un rééquilibrage s’impose, la tâche commence chez soi.

Par définition, les équilibres intérieurs sont aussi le moteur des soldes extérieurs courants, exprimés ici en dollars, et par conséquent, des mouvements de capitaux. Autrement dit, un rééquilibrage peut renforcer la stabilité aux niveaux interne, externe et mondial. C’est vrai en soi, compte tenu du risque que les mouvements de capitaux cessent brusquement. C’est aussi vrai, comme nous l’avons vu, parce que ces excédents et déficits extérieurs peuvent créer un terrain fertile aux tensions commerciales.

Au FMI, nous savons qu’il est difficile de retrouver un équilibre. Les pays dont le compte courant est excédentaire ne voient pas de nécessité urgente de s’adapter. Ce sont des exportateurs de capitaux, et non pas des importateurs. D’un autre côté, les pays dotés d’une monnaie de réserve, en particulier les États-Unis, bénéficient d’une capacité particulière à supporter des déficits courants. Mais en termes nets, des excédents et des déficits prolongés peuvent finir par cumuler les facteurs de vulnérabilité.

Tous les pays peuvent mener des politiques qui renforcent l’équilibre intérieur et extérieur, et ainsi améliorer la résilience et le bien-être de tous.

Concentrons-nous sur les trois principaux acteurs :

  • En Chine, nous avons préconisé des politiques qui dopent une consommation privée chroniquement faible. Il s’agit, premièrement, de mesures destinées à tempérer la politique industrielle et l’intervention généralisée de l’État dans le secteur industriel ; deuxièmement de mesures visant à améliorer les dispositifs de protection sociale et réduire la nécessité de constituer une épargne de précaution ; enfin, troisièmement, d’un soutien budgétaire pour remédier aux lacunes du secteur de l’immobilier. Ces actions, si elles sont suffisamment fermes, feraient remonter la confiance et la demande intérieure, contribueraient à rétablir les relations commerciales détériorées et ouvriraient la voie à la prochaine phase de la trajectoire de croissance de la Chine. Il faudra entre autres accueillir plus favorablement la progression naturelle du secteur manufacturier vers celui des services à mesure que les économies se développent.
  • Dans l’Union européenne, l’expansion budgétaire résolue de l’Allemagne pour faciliter les dépenses de défense et d’infrastructures augmentera la demande intérieure, comme le feraient des mesures à l’échelle de l’Union visant à améliorer la compétitivité en approfondissant le marché unique. L’Europe a besoin d’une union bancaire. L’Europe a besoin d’une union des marchés de capitaux. Et l’Europe a besoin de réduire les restrictions au commerce interne des services. La liste est longue. Une détente budgétaire, conjuguée à une intégration plus poussée, doperait la croissance, renforcerait la résilience et améliorerait les équilibres tant intérieurs qu’extérieurs.
  • Dernier point, mais non le moindre, aux États-Unis, le principal défi de la politique macroéconomique sera de placer la dette de l’État fédéral sur une trajectoire descendante. Il faudra à cet effet réduire sensiblement le déficit du budget fédéral, ce qui passera, entre autres, par des éléments d’une réforme des dépenses. Diminuer la dette fédérale renforcerait la résilience tout en faisant reculer le déficit courant.

Les réformes et les rééquilibrages concernent tout un chacun. De l’ASEAN au Conseil de coopération du Golfe, en passant par le continent africain et le reste du monde, les décideurs agissent pour renforcer leur économie, améliorer les relations régionales et réduire les excédents et les déficits. Nous soutenons fermement leurs efforts.

Pour finir, j’évoquerai la troisième grande priorité, et de loin la plus pressante : faire en sorte qu’il puisse y avoir une coopération dans un monde multipolaire.

En matière de politique commerciale, l’objectif doit être de parvenir à une entente entre les plus grands acteurs, qui préserve l’ouverture et crée des règles du jeu plus équitables, afin de reprendre une tendance mondiale vers une baisse des droits de douane tout en réduisant les barrières non tarifaires et les distorsions.

Nous avons besoin d’une économie mondiale plus résiliente, pas d’une dérive vers des divisions. Et pour faciliter la transition, les politiques publiques doivent donner aux agents économiques le temps de s’adapter et d’agir.

Parvenir à une résilience exige de faire une place aux politiques qui amortissent les chocs frappant ceux qui font les frais de la situation. C’est fondamental. Les politiques de répartition constituent une passerelle fondamentale entre les bonnes mesures économiques et les bonnes mesures politiques.

En somme, il ne fait pour moi aucun doute que nos réunions de printemps qui se tiendront la semaine prochaine, et rassembleront 191 pays membres du FMI, seront un espace crucial de dialogue à une époque cruciale. Tous les pays, petits et grands, peuvent et doivent jouer un rôle pour renforcer l’économie mondiale à un moment où les chocs sont plus fréquents et plus graves.

Je conclurai en observant que chaque défi recèle une opportunité. Si l’on déploie suffisamment d’efforts, ce qui était impossible devient possible, on gravit des montagnes infranchissables et on surmonte des intérêts catégoriels qui ne voulaient pas céder. En gardant la tête froide, en étant guidé par une vision claire et une volonté déterminée, on fera en sorte que le changement soit un moment de renouveau.

Il faut saisir l’occasion, et pour cela, le secret est de concentrer toute son énergie non pas à préserver le passé, mais à édifier une nouvelle économie mondiale plus équilibrée et plus résiliente.

Je vous remercie.

By amedee

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