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 Réduire la capitalisation étrangère dans les banques : un pari risqué pour le financement de l’économie congolaise

La Banque Centrale du Congo (BCC) a récemment introduit une réforme d’envergure à travers l’Instruction18, imposant aux groupes bancaires étrangers, notamment les conglomérats kényans Kenya Commercial Bank (KCB) et Equity Group Holdings, de céder au moins 30 % de leurs parts dans leurs filiales congolaises d’ici à décembre 2026. Cette décision stratégique s’inscrit dans une volonté manifeste de renforcer la résilience du secteur bancaire, diversifier les structures actionnariales et accroître la participation des capitaux nationaux dans les institutions financières opérant en République Démocratique du Congo (RDC).

Plus précisément, KCB détient une participation majoritaire dans la Trust Merchant Bank (TMB), tandis qu’Equity Group Holdings contrôle intégralement Equity BCDC, issue de la fusion avec la Banque Commerciale du Congo. Conformément à la nouvelle réglementation, toute banque agréée en RDC devra désormais compter au moins quatre actionnaires indépendants, chacun disposant d’au moins 15 % du capital, et les investisseurs congolais devront ensemble détenir au moins 45 % du capital social. L’objectif affiché est double : réduire la concentration des risques systémiques et encourager une gouvernance plus inclusive, gage d’un meilleur ancrage local.

Cette exigence de désengagement partiel constitue un véritable tournant pour les groupes concernés, dans la mesure où ils détiennent actuellement jusqu’à 85 % de participation dans leurs filiales congolaises.

À court terme, cette disposition pourrait catalyser une vague de transactions stratégiques dans un marché bancaire en pleine expansion mais encore sous-développé. Les perspectives de rachat de participations par des investisseurs institutionnels, des capitaux privés locaux ou des partenaires régionaux émergent déjà comme des hypothèses plausibles.

Un marché bancaire stratégique mais structurellement vulnérable

Avec une population de plus de 100 millions d’habitants et un sous-sol parmi les plus riches au monde, la RDC constitue un marché prioritaire pour l’expansion bancaire en Afrique. Pourtant, le taux de bancarisation y demeure inférieur à 10 %, traduisant une faible inclusion financière, un accès limité au crédit et une prédominance du secteur informel. Malgré cela, la RDC est récemment devenue la destination la plus rentable pour les banques kényanes, surpassant leurs implantations en Ouganda, au Rwanda ou en Tanzanie.

Les performances financières récentes illustrent ce potentiel : en 2023, Equity BCDC a enregistré un résultat net de 48 millions USD, tandis que la TMB affichait un bénéfice de 35 millions USD, tirés principalement par le financement des opérateurs miniers, la bancarisation des PME et le développement de solutions digitales.

Entre souveraineté financière et reconfiguration capitalistique

L’introduction de cette mesure place les banques étrangères devant un arbitrage délicat : réduire leur exposition sur un marché très rentable ou s’exposer à des sanctions réglementaires. Pour la BCC, il s’agit d’asseoir une souveraineté économique accrue, de renforcer l’ancrage local des décisions stratégiques, et de mitiger la vulnérabilité du secteur face aux chocs exogènes, notamment ceux liés aux sorties de capitaux ou aux crises systémiques internationales.

Cependant, cette réorientation vers une plus grande participation locale suscite plusieurs interrogations : lesinvestisseurs locaux disposent-ils de la profondeur de capital suffisante pour absorber ces parts stratégiques

? Quels mécanismes de gouvernance seront instaurés pour éviter une fragmentation des décisions stratégiques ? Et surtout, cette politique renforcera-t-elle l’inclusion financière ou risquera-t-elle de freiner l’innovation et les investissements ?

Analyses critiques

La décision de la Banque Centrale du Congo (BCC), à travers l’Instruction 18, d’imposer aux banques étrangères — notamment les filiales kényanes KCB et Equity Group Holdings — de céder 30 % de leurs participations d’ici à 2026, soulève de sérieuses réserves au regard du contexte macroéconomique et structurel du secteur financier congolais.

En effet, dans un pays où le taux de bancarisation reste inférieur à 10 %, imposer un désengagement à des institutions hautement capitalisées, performantes et solidement implantées peut paraître contre-productif.

Le développement du secteur financier en RDC exige avant tout des acteurs disposant d’une profondeur financière, capables non seulement de financer les investissements à long terme, mais aussi de soutenir les besoins de trésorerie et de consommation des ménages via l’élargissement de l’offre de crédit. Or, la stabilité, la liquidité et la capacité de mobilisation de ressources à grande échelle sont précisément les avantages comparatifs que les banques étrangères, bien capitalisées, apportent au système financier congolais.

En forçant ces banques à céder une partie substantielle de leurs parts — potentiellement à des investisseurs locaux souvent limités en capacité financière —, la BCC fragilise la structure de capital des institutions les plus dynamiques du pays. Cette décision pourrait réduire leur capacité à prêter, freiner les initiatives d’innovation financière (notamment numériques), et ralentir l’expansion de l’inclusion bancaire dans les zones peu desservies. De plus, la possibilité que les investisseurs locaux appelés à reprendre ces parts n’aient ni la surface financière ni l’expertise opérationnelle pour maintenir la gouvernance et la rentabilité des entités concernées, renforce les risques de fragmentation et d’instabilité.

Dans un environnement où les entreprises peinent déjà à accéder au crédit, où le financement des PME est structurellement insuffisant et où le tissu économique informel reste dominant, réduire artificiellement la capitalisation des banques performantes revient à pénaliser l’investissement productif et à limiter les marges de manœuvre monétaire. Cela va également à l’encontre des efforts visant à attirer les capitaux étrangers dans un pays qui dépend encore largement des financements extérieurs pour soutenir son développement.

Si la volonté de la BCC de renforcer la souveraineté économique et de favoriser les capitaux nationaux peut être saluée dans son intention, le timing, les modalités et les effets potentiels de cette mesure apparaissent inadaptés à l’état actuel du système bancaire congolais. Une réforme aussi structurante aurait nécessité une approche plus progressive, combinée à des incitations au capital local et à des partenariats stratégiques, plutôt qu’une injonction réglementaire brutale qui risque de refroidir les investisseurs internationaux et de réduire la capacité du pays à financer sa croissance.

Congo Challenge (avril 2025) 

By amedee

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