Une nation peut apprendre à vivre avec la pauvreté lorsque des filets sociaux minimaux atténuent ses effets les plus cruels. Mais c’est la qualité de la richesse qui façonne l’imaginaire collectif et nourrit l’ambition des jeunes générations. L’absence de figures de réussite hors du champ politique enferme la société congolaise dans une logique où l’ascension sociale semble dépendre exclusivement du pouvoir d’État. Dans un pays où la majorité rêve de mobilité verticale, il est urgent d’offrir d’autres horizons.
Un cycle électoral succède à un autre et la scène reste la même. Des dizaines de candidatures affluent pour briguer des postes électifs, souvent sans programme sérieux ni vision claire pour améliorer la vie des habitants. Cette prolifération ne traduit pas un réel souci de service public, mais plutôt la conviction que la politique est la seule voie d’accès à la réussite sociale. Même ceux qui échouent continuent de s’accrocher, convaincus qu’en restant loyaux envers le parti et son « autorité morale », leur patience finira par être récompensée une fois que les proches du chef auront été placés et que quelques postes seront redistribués. Dans ce système, les familles dirigeantes deviennent la vitrine d’une prospérité aussi rapide que suspecte, affichée à travers villas, voitures de luxe et voyages incessants, une richesse qui alimente la frustration autant qu’elle nourrit la convoitise.
L’image des dirigeants, parti de presque rien et devenu en quelques années détenteur d’un patrimoine colossal, finit par installer dans l’imaginaire collectif l’idée que la politique n’est pas une mission de service mais un raccourci vers l’enrichissement. Le plus inquiétant reste l’absence d’alternatives crédibles pour inspirer la jeunesse, car en dehors de ce schéma, aucune autre trajectoire de réussite ne semble visible. Dans un monde moderne où la politique devrait être synonyme de responsabilité et de service, cette dérive agit comme un tabou pesant et prive le pays d’une culture de l’excellence, étouffant d’autres rêves que celui de s’accrocher aux couloirs du pouvoir.
Et donc, dans un pays où la réussite semble trop souvent confisquée par la politique et les rentes de l’État, il est surprenant que l’exploit de Jean-Pierre Latere Dwan’Isa soit resté invisible, ignoré à la fois par les médias et par le gouvernement. En réussissant à mobiliser des ressources sur les marchés financiers internationaux, il démontre qu’un Congolais peut bâtir une réussite authentique hors des arènes électorales. Pour une jeunesse en quête de modèles, son parcours prouve que l’intelligence, l’innovation, la ténacité et l’audace peuvent tracer des voies d’ascension sociale et nourrir l’imaginaire collectif d’une nation entière. Un tel exploit devrait ouvrir la voie à une nouvelle conception de la mobilité sociale, où l’ambition verticale ne passerait plus exclusivement par l’urne, les partis ou les couloirs ministériels, mais par la conquête d’un espace économique qui échappe au contrôle de l’État prédateur. Encore faut-il, avant tout, en comprendre la pertinence et l’ampleur à l’échelle congolaise.
Là où l’État s’agenouille, un Congolais se tient debout
L’exploit de Jean-Pierre Latere Dwan’Isa tient d’abord dans sa capacité à créer une opportunité là où beaucoup n’en voient aucune. En fondant EsoBiotec en 2020, il n’a pas seulement lancé une entreprise de biotechnologie, il a bâti une passerelle entre une idée scientifique audacieuse et les besoins concrets de l’industrie mondiale de la santé. C’est cette vision 5 ans après qui a convaincu AstraZeneca de miser jusqu’à un milliard de dollars sur son projet, avec déjà 425 millions payés dès la signature et le reste conditionné aux résultats futurs. Pour un Congolais, cette réussite signifie qu’il est possible de transformer une idée en valeur économique réelle et d’attirer l’attention des plus grands investisseurs internationaux.
Dans un pays où l’État accumule les discours sans jamais résoudre la question essentielle de mobiliser des ressources financières sans sacrifier sa dignité nationale, l’histoire de Jean-Pierre Latere Dwan’Isa résonne comme une gifle silencieuse. Pendant que ministres et technocrates s’adonnent à des acrobaties coûteuses pour le trésor public auprès du FMI, de la Banque mondiale et d’autres partenaires extérieurs, un compatriote a montré qu’il était possible d’accéder directement aux marchés internationaux de capitaux et d’y obtenir des moyens tangibles. Le contraste devient saisissant lorsqu’on voit un pays entier courir derrière 2,8 milliards du FMI, contraint d’accepter une liste interminable de conditions qui réduisent sa marge de manœuvre. Ces engagements forcent le Congo à réviser son budget, à transformer ses institutions et à s’endetter toujours davantage pour obéir à des injonctions étrangères. L’argent, versé au compte-gouttes, sous surveillance permanente, ressemble davantage à une aumône distribuée à un élève puni qu’à un partenariat digne. Pour une nation pourtant riche en ressources, ce processus prend la forme d’une humiliation collective et rappelle durement que notre souveraineté économique demeure sous tutelle.
À l’inverse, Jean-Pierre Latere Dwan’Isa, seul et sans l’arsenal diplomatique d’un État, a présenté un projet né de la science et de l’innovation et a réussi à convaincre une multinationale puissante d’investir jusqu’à un milliard de dollars. Son succès n’a pas été obtenu au prix de compromis ou d’ordres imposés de l’extérieur. Il n’a pas eu besoin de s’agenouiller ni de subir la surveillance constante de bailleurs de fonds. Il a simplement prouvé que la rigueur, la transparence et la valeur concrète d’une idée peuvent susciter la confiance et attirer des capitaux massifs.
Le contraste est brutal. Ce succès personnel agit comme un miroir. Il montre que le véritable problème du Congo n’est pas le manque de ressources ni l’hostilité du monde extérieur mais l’incapacité chronique de ses dirigeants à parler le langage de la crédibilité et de la compétence. L’exploit de Dwan’Isa ne se limite pas à un chiffre impressionnant. Il ouvre une brèche symbolique et démontre qu’un Congolais peut réussir en imposant le respect, là où un État entier échoue encore à éviter la honte.
La leçon est douloureuse mais nécessaire. La richesse individuelle peut devenir une boussole collective lorsqu’elle s’affranchit des pratiques prédatrices et clientélistes.
Percer le brouillard
Jean-Pierre Latere Dwan’Isa est né à Lubumbashi, mais c’est à Kinshasa qu’il a grandi et qu’il a suivi sa scolarité au collège Boboto, l’un des établissements emblématiques de la capitale. Il a connu un parcours scolaire ordinaire, assis sur les mêmes bancs que des milliers d’élèves en uniforme bleu et blanc. Rien ne laissait alors présager qu’il se distinguerait de ses camarades ou qu’il tracerait un chemin hors du commun. Son histoire commence dans ce cadre familier des écoles congolaises, marqué à la fois par la discipline, l’espoir et les contraintes, mais trop souvent incapable d’offrir l’espace nécessaire à l’épanouissement des talents. Pourtant, là où beaucoup s’arrêtent faute de moyens familiaux, il a eu la chance de trouver la voie qui lui a permis de poursuivre et de développer son potentiel.
À dix-huit ans, il quitte le Congo pour la Belgique où il obtient un doctorat, avant de poursuivre des recherches postdoctorales aux États-Unis. Sa carrière le conduit ensuite dans des environnements de pointe qui lui permettent de se spécialiser dans un secteur clé pour relever un défi mondial. Son parcours montre qu’un talent, aussi brillant soit-il, a besoin d’un écosystème favorable pour s’épanouir, avec des institutions solides et des structures capables de soutenir et d’amplifier ses efforts. Là où l’environnement s’inscrit dans une économie du savoir, les rêves cessent d’être de simples aspirations et trouvent une véritable rampe de lancement, au point qu’un milliard de dollars peut être investi sur un concept, indépendamment du lieu de naissance ou du contexte dans lequel on a grandi.
La réalité congolaise est plus amère. Le pays regorge de jeunes aussi brillants que Dwan’Isa, mais leur potentiel reste enfermé dans des horizons étroits. L’absence d’infrastructures modernes et de financements adaptés les condamne trop souvent à l’invisibilité. L’histoire de Latere est belle parce qu’elle prouve que le génie congolais peut rivaliser au sommet du monde scientifique, mais elle est aussi tragique car elle révèle que ceux qui restent au pays n’ont pas les mêmes chances de transformer leur talent en réussite internationale. Ce conte de fée individuel devient ainsi le miroir d’une nation qui n’a pas encore su bâtir un environnement où ses propres fils et filles peuvent percer le brouillard sans devoir s’exiler. Voilà pourquoi son parcours doit être mis en lumière, célébré et présenté comme source d’inspiration, afin de rappeler la valeur inestimable d’une économie fondée sur le savoir.
Amédée Mwarabu