La République démocratique du Congo s’apprête à franchir une étape déterminante dans son intégration
aux marchés financiers internationaux. Réuni le vendredi 22 août 2025, le Conseil des ministres a entériné la proposition du ministre des Finances, Doudou Fwamba Likunde Li-Botayi, portant sur le lancement de la toute première émission d’Eurobonds de l’histoire du pays.
Cette opération, d’un montant estimé à 1,5 milliard de dollars américains, s’inscrit dans la mise en œuvre du Plan national stratégique de développement (PNSD) et du Programme d’actions du gouvernement 2024-2028, sous le haut patronage du président Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo. Les fonds mobilisés visent prioritairement le financement d’infrastructures stratégiques – routes, énergie et connectivité numérique –considérées comme leviers essentiels pour accélérer la transformation structurelle de l’économie congolaise et renforcer son intégration régionale.
Le gouvernement fonde cette démarche sur la robustesse actuelle du cadre macroéconomique : une inflation contenue à 7,8 % en glissement annuel, une dépréciation maîtrisée du franc congolais de 1,1 % à fin juillet 2025, et une croissance économique projetée à 5,3 % pour l’exercice en cours. Le ratio dette publique/PIB, évalué à environ 20 %, demeure largement inférieur au seuil de soutenabilité de 60 % retenu par la SADC.
À cela s’ajoute une notation souveraine jugée relativement favorable pour un pays émergent en transition
: B- par Standard & Poor’s et B3 avec perspectives stables par Moody’s. Ces indicateurs, bien que fragiles,
renforcent l’argumentaire d’un recours maîtrisé aux marchés internationaux.
Selon le ministre des Finances, cette émission présente plusieurs avantages stratégiques : élargissement
de la base d’investisseurs internationaux, diversification des sources de financement afin de réduire la
dépendance aux bailleurs traditionnels (bilatéraux et multilatéraux), allongement de la maturité de la
dette, et amélioration de la crédibilité financière de la RDC auprès des investisseurs et agences de notation.
Le succès de l’opération sera conditionné par la perception du risque souverain et par la capacité du pays à offrir une prime de rendement attractive face à la concurrence d’autres émetteurs africains. Afin de maximiser la confiance des marchés, le gouvernement s’est adjoint les services d’acteurs financiers de premier plan : CITIBANK et RAWBANK comme banques émettrices, White & Case comme conseiller juridique international, et Rothschild & Co comme conseiller financier stratégique. L’opération s’étendra sur une période de six mois, au cours de laquelle le gouvernement mènera une campagne de communication financière (roadshow) destinée à convaincre les investisseurs institutionnels.
Au-delà de l’aspect purement financier, cette initiative illustre la volonté de l’exécutif congolais de renforcer la diversification des instruments de financement et de positionner le pays comme un acteur crédible sur les marchés de capitaux. Toutefois, elle soulève également des enjeux de gouvernance budgétaire et de gestion prudente de la dette publique : la réussite de cette première émission conditionnera la perception future du risque congolais et pourrait, en cas de succès, ouvrir la voie à de nouvelles opérations souveraines sur les marchés internationaux.
En définitive, si cette émission d’Eurobonds est exécutée avec discipline et transparence, elle pourrait
constituer un signal fort de maturité financière pour la RDC, lui permettant d’accroître sa résilience
macroéconomique et de financer son développement sur des bases plus autonomes. À l’inverse, une gestion imprudente ou un contexte politique instable pourrait se traduire par une hausse significative de la prime de risque exigée par les investisseurs, compromettant ainsi les bénéfices attendus.
Bien que le ratio de la dette publique par rapport au PIB de la RDC reste relativement bas (environ 22 %), cet indicateur ne saurait, à lui seul, justifier le recours à une émission d’Eurobonds. En effet, la véritable mesure de la soutenabilité de la dette ne réside pas uniquement dans ce ratio, mais plutôt dans la capacité de l’État à assurer le service de la dette. À cet égard, il serait impératif d’évaluer le poids des paiements d’intérêts en pourcentage des recettes publiques afin d’apprécier l’espace budgétaire réel dont dispose le pays. Si une part trop importante des recettes fiscales est déjà absorbée par le service de la dette, toute nouvelle émission obligataire risquerait de fragiliser davantage la viabilité budgétaire à moyen terme.
Par ailleurs, le recours à un instrument aussi exigeant que l’Eurobond devrait être conditionné à un
renforcement de la discipline budgétaire et au strict respect de la chaîne de dépenses publiques. Or,
l’historique congolais en matière de gestion des finances publiques reste marqué par des pratiques de
dépenses extra-budgétaires, un manque de transparence dans l’exécution du budget et une faible efficacité dans l’allocation des ressources. L’émission d’un Eurobond, sans réforme préalable de la gouvernance budgétaire, risque de créer une vulnérabilité accrue, tant sur le plan interne qu’externe.
Enfin, l’expérience récente d’autres pays africains devrait inciter à la prudence. Des États tels que le Ghana, la Zambie et l’Éthiopie ont connu de graves difficultés à honorer leurs engagements obligataires internationaux, se traduisant par une dégradation de leur notation souveraine, une flambée de leur prime de risque et, dans certains cas, un défaut de paiement. En s’exposant à un scénario similaire, la RDC prendrait le risque de voir sa crédibilité financière sévèrement entamée, compromettant non seulement ses futures levées de fonds, mais aussi l’attractivité de son économie auprès des investisseurs étrangers.
En somme, si l’émission d’Eurobonds peut constituer une opportunité pour diversifier les instruments de
financement, elle ne devrait être envisagée qu’à la lumière d’une analyse rigoureuse de la soutenabilité de la dette, du renforcement de la gouvernance budgétaire, et d’une stratégie crédible visant à éviter l’écueil dans lequel sont tombés plusieurs de ses pairs africains.
Congo Challenge N°100