Vue d'une forêt du Bassin du CongoVue d'une forêt du Bassin du Congo

Combien de milliards de dollars ont été mobilisés pour répondre à l’urgence climatique ? Quels sont les pays qui ont le plus contribué ? Et quels sont ceux qui, en Afrique, en ont le plus bénéficié ? Et, surtout, ces sommes sont-elles à la hauteur ? 

Depuis trente ans, les COP se suivent et se ressemblent sans parvenir à enrayer la crise climatique. Celle qui se tient en ce moment à Bakou, en Azerbaïdjan, risque fort de ne pas déroger à la règle. Pourtant, le constat est indiscutable : le réchauffement climatique s’accélère et le coût de l’inaction augmente à chaque jour qui passe. Depuis dix ans, les records de chaleur sont battus année après année. 2024 devrait voir le thermomètre mondial dépasser, pour la première fois, les 1,5 °C de réchauffement par rapport à l’ère préindustrielle. Les émissions totales de CO2 viennent d’atteindre un nouveau record : 41,6 gigatonnes de carbone. Les phénomènes météorologiques extrêmes ont été multipliés par cinq en seulement 50 ans.

La bataille qui se joue à Bakou sur la question du financement de la lutte contre la crise climatique est cruciale, en particulier pour les pays africains qui sont venus plaider pour que les pays dits développés remboursent, enfin, la dette climatique qu’ils ont contractée auprès des pays du Sud. La vingtaine de dirigeants africains présents en Azerbaïdjan est venue avec un chiffre : 1 300 milliards de dollars. C’est le montant annuel que l’Afrique veut – et doit – obtenir dans le cadre du Nouvel objectif collectif quantifié (NCQG), alors que les tensions géopolitiques et les rapports de force entre pays dits industrialisés et le « Sud global » ne sont pas à l’avantage du continent.

Pour mieux saisir l’ampleur des enjeux de cette 29e conférence des Nations unies sur le climat, Jeune Afrique démêle l’écheveau des financements climatiques et montre la place qu’y occupent les pays africains.

Seulement 1 % du PIB mondial pour le climat

Entre 2021 et 2022, 1 460 milliards en moyenne ont été investis dans la lutte contre le changement climatique, soit l’équivalent de 1 % du PIB mondial, selon Climate Policy Initiative (CPI), une organisation qui analyse les flux financiers mobilisés pour le climat à travers le monde. Cette somme comprend l’enveloppe des 100 milliards de dollars que les pays dits développés avaient promis de mobiliser conjointement chaque année, à partir de 2020, pour financer – en dons et prêts – les projets dans les pays dits en développement. Une promesse qui n’aura, finalement, été tenue qu’en 2022, et avec deux ans de retard.

Cette somme globale de 1 460 milliards de dollars intègre également tous les investissements pour des projets d’atténuation des émissions de carbone et d’adaptation, qu’ils aient été réalisés par des organismes internationaux ou nationaux, et que les fonds soient publics ou privés.

Bien que les flux globaux identifiés par CPI aient plus que doublé depuis 2018, l’écart à combler reste abyssal. D’ici à 2030, il faudra au moins quintupler la mise pour atteindre les 7 400 milliards de dollars nécessaires en moyenne chaque année pour espérer rester dans le cadre d’un scénario à 1,5 °C supplémentaire.

L’Afrique, où vit 20 % de la population mondiale, et qui compte certains des pays les plus vulnérables aux conséquences du dérèglement climatique, n’a reçu que 3,4 % de ces financements. Une miette.

Un déficit de 80 %

Les financements climatiques ont certes augmenté au cours des quatre dernières années en Afrique (+48 %), et ont même passé la barre symbolique des 50 milliards de dollars en 2022. Mais ils sont toujours très loin de répondre aux besoins réels du continent pour se développer, tout en s’adaptant à la crise climatique.

Le déficit climatique africain dans les projets d’adaptation et d’atténuation en 2021-2022 est estimé, par la Climate Policiy Initiative (CPI), à près de 80 %. En d’autres termes, les pays du continent ne disposent que de 23 % des fonds annuels nécessaires pour mettre en œuvre leurs contributions nationales déterminées (CDN) dont le budget est estimé à environ de 2 000 milliards dollars d’ici à 2030.

Des sommes qui sont en outre bien moindres que celles qui irriguent les énergies fossiles : les subventions aux carburants et les investissements dans les centrales ont respectivement été 4 et 1,6 fois plus élevées que le financement climatique total destiné au continent, qui était de 43,7 milliards de dollars sur la moyenne 2021-2022.

Manque de financements africains

Ces 43,7 milliards de dollars mobilisés en 2021-2022 ont été presque également répartis entre les activités de réduction des émissions ou atténuation (39 %) et d’adaptation (37 %), suivies par les projets à bénéfices multiples (24 %). En revanche, 87 % de ces financements ont été fournis par des bailleurs internationaux, preuve supplémentaire du défi persistant de la mobilisation des ressources et du capital domestiques.

Une autre problématique est le recours massif à la dette, qui reste le mécanisme le plus utilisé : plus de la moitié des investissements climatiques en Afrique sont financés via des emprunts, qu’il s’agisse de dette concessionnelle ou de dette à taux de marché. Viennent ensuite les subventions ou dons, qui ont considérablement augmenté ces dernières années, en particulier pour les projets d’adaptation. Les financements en capitaux, eux, ont principalement servi au projet d’atténuation, en particulier pour le secteur de l’énergie où les panneaux photovoltaïques ont attiré d’importants investissements privés, portés tant par les entreprises que par les ménages.

Les investissements internationaux sont très inégalement répartis sur le continent. Les dix premiers pays bénéficiaires ont reçu 46 % des fonds, alors que les dix pays les plus vulnérables au changement climatique ne reçoivent que 11 % de ce financement, accentuant un sous-financement chronique.

Financer la transition énergétique et l’adaptation

Les systèmes énergétiques reçoivent la plus grande part, avec 13,6 milliards de dollars alloués en 2021-2022, soit 31 % du financement climatique total, et 62 % du financement pour l’atténuation. Cependant, là encore, les fonds sont très inégalement répartis. Plus de la moitié est concentrée dans seulement sept pays, principalement l’Afrique du Sud, l’Égypte et le Nigeria. Ces investissements sont surtout attribués à des projets de production d’électricité, en particulier solaire et éolienne.

En deuxième place, l’agriculture, la sylviculture et la pêche mobilisent ensemble 16 % des financements. Ces secteurs souffrent, là encore, d’un sous-financement chronique par rapport à leurs besoins réels, dix fois plus importants.

Côté mobilité « verte », bien que le marché des véhicules électriques soit encore balbutiant, son potentiel est immense. En témoigne l’émergence récente de start-up proposant des motos, des tuk-tuks et des bus électriques dans de nombreuses villes, d’Abidjan à Johannesburg.

Et le privé ?

C’est une autre exception africaine : contrairement aux autres régions du monde, le continent n’attire que très peu les financements privés. Ces derniers ont même diminué entre 2019-2020 et 2021-2022, alors qu’ils ont augmenté partout ailleurs.

À l’inverse, le secteur public a fourni 82 % des financements climatiques africains en 2021-2022, dont les trois quarts via des institutions financières de développement multilatérales (DFI) et des donateurs bilatéraux.

La distribution de ces financements privés révèle de fortes disparités : dix pays – principalement l’Afrique du Sud, l’Égypte, le Nigeria et le Kenya – ont reçu 76 % de cette enveloppe, mettant en évidence la concentration des investissements dans quelques marchés considérés comme plus développés ou plus stables. En revanche, de nombreux pays parmi les moins avancés, qui sont aussi les plus vulnérables aux impacts du dérèglement climatique, rencontrent des difficultés à accéder aux financements privés.

L’obstacle du risque

L’Afrique abrite certaines des économies à la croissance la plus rapide au monde et dispose de 60 % des meilleures ressources solaires mondiales, ce qui en fait un candidat de choix pour les investissements verts. Malgré ces opportunités évidentes, elle n’a reçu que 3,4 % des financements climatiques mondiaux. Comment expliquer cette injustice ? Le continent fait face à un cercle vicieux : la vulnérabilité climatique commande de s’endetter, la charge de la dette – contractée à des taux très élevés – limite mécaniquement les marges de manœuvre budgétaires des États, alimentant en retour le déficit d’investissements… Et accentuant donc la vulnérabilité climatique.

« La solution réside dans la création d’une architecture financière qui reconnaisse l’interdépendance du développement et du climat, et qui donne aux pays africains l’accès aux liquidités nécessaires pour conduire leur propre transformation. Il s’agit de dépasser les faux clivages pour embrasser une approche holistique qui s’attaque aux causes profondes du manque de choix politiques en Afrique », écrit Carlos Lopes, président du Conseil de la Fondation africaine du climat, dans la tribune qu’il signait dans Jeune Afrique le 29 octobre dernier. De fait, s’attaquer à ces obstacles à l’investissement semble plus que jamais indispensable pour, enfin, libérer le potentiel de l’Afrique climatique et de développement.

Par Marie Toulemonde/JeuneAfrique

By amedee

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