Le Prix NobelLe Prix Nobel

L’attribution du prix Nobel d’économie 2024 à Daron Acemoglu, Simon Johnson et James Robinson pour leurs recherches sur les différences de prospérité entre les nations met en exergue un point fondamental : le rôle central des institutions dans la prospérité des pays. Leurs travaux démontrent que les institutions extractives, caractérisées par la concentration du pouvoir et de la richesse entre les mains de quelques-uns, sont à l’origine des inégalités économiques et de la pauvreté. Ces conclusions offrent une lentille précieuse pour analyser la situation de la République Démocratique du Congo (RD Congo) à travers le prisme des institutions extractives et inclusives.

L’article que j’ai publié en Mars 2024, « La RD Congo souffrirait-t-elle de la malédiction des institutions extractives ? », se place dans cette lignée en explorant les fondements historiques, politiques et économiques qui ont conduit la RD Congo à son état actuel de pauvreté et de sous-développement, malgré ses vastes ressources naturelles.

La théorisation des institutions extractives par Acemoglu et Robinson

Dans leur livre influent Why Nations Fail: The Origins of Power, Prosperity, and Poverty, Acemoglu et Robinson établissent une distinction claire entre les institutions extractives et inclusives. Les institutions extractives concentrent la richesse et le pouvoir entre quelques mains, ce qui étouffe l’innovation, restreint les opportunités économiques pour la majorité et perpétue un cycle de pauvreté. En revanche, les institutions inclusives distribuent plus équitablement le pouvoir et les ressources, permettant une croissance économique durable et une stabilité politique. Ces idées, qui ont valu aux trois chercheurs le prix Nobel d’économie, trouvent une application directe dans le cas de la RD Congo.

Dans l’article mentionné ci-dessus, je soutiens que la RD Congo est piégée dans ce cycle des institutions extractives, une malédiction qui date de l’époque coloniale et qui a été exacerbée par des décennies de mauvaise gouvernance post-indépendance. Je trace les origines des institutions extractives du pays à la période coloniale belge, marquée par une exploitation brutale des ressources naturelles et de la main-d’œuvre locale. Cet héritage a été maintenu après l’indépendance, notamment sous le régime de Mobutu, et a continué à façonner les structures économiques et politiques du pays jusqu’au aujourd’hui.

La richesse naturelle et le paradoxe du sous-développement

L’un des paradoxes les plus frappants de la RD Congo est la contradiction entre sa richesse naturelle immense et son sous-développement chronique. Le pays regorge de ressources minérales précieuses comme le cobalt, le cuivre et l’or, mais il reste l’un des plus pauvres du monde. Ce paradoxe est un cas d’école de ce que les lauréats du prix Nobel décrivent comme l’impact des institutions extractives sur la prospérité nationale. Dans un cadre extractif, les ressources naturelles ne sont pas exploitées pour le bien commun, mais pour enrichir une élite restreinte, laissant la majorité de la population dans la pauvreté.

J’exploite cette idée en soulignant que la RD Congo souffre d’une gestion inéquitable de ses ressources, où des entreprises étrangères et une élite corrompue s’approprient les profits issus de l’exploitation minière, laissant la population locale marginalisée. Le secteur extractif en RD Congo est marqué par un manque de transparence et de responsabilité, renforçant ainsi les pratiques d’exclusion économique qui alimentent les inégalités sociales. Acemoglu et Robinson avaient déjà mis en lumière comment ce type d’institutions bloque toute possibilité de progrès à long terme en décourageant l’innovation et en empêchant la majorité d’accéder à des opportunités économiques.

Les institutions politiques et la gouvernance en RD Congo

Le poids des institutions extractives en RD Congo ne se limite pas à l’économie ; il se manifeste également dans la sphère politique. Acemoglu et Robinson ont montré qu’une gouvernance inclusive est essentielle pour permettre une distribution équitable du pouvoir et des ressources. Or, la RD Congo est aux prises avec une corruption endémique et une centralisation extrême du pouvoir politique. Comme je l’ai noté, le régime de Mobutu, marqué par la kleptocratie et l’extraction des ressources publiques pour le bénéfice personnel du dictateur et de ses alliés, a exacerbé cette tendance. Même après la chute de Mobutu, les institutions extractives ont continué de prospérer sous différents régimes, entraînant une instabilité politique chronique, des conflits armés et une incapacité à instaurer un véritable état de droit.

La corruption généralisée et la faiblesse de l’état de droit en RD Congo entravent non seulement la gouvernance démocratique, mais limitent aussi les efforts de développement et la distribution équitable des ressources. Ce dysfonctionnement des institutions politiques a, en outre, découragé les investissements étrangers et créé un climat d’incertitude qui freine toute tentative de diversification économique. Dans un tel contexte, comme le rappellent les lauréats du Nobel, les réformes institutionnelles sont indispensables pour instaurer un environnement politique et économique propice à la croissance et à la prospérité pour tous.

Le chemin vers des réformes : des exemples internationaux

Un des points les plus forts de mon article est l’exploration des pistes de réformes possibles pour la RD Congo. À travers l’exemple de pays comme la Corée du Sud, le Botswana, l’Estonie et le Ghana, il montre que la transition vers des institutions plus inclusives, bien que difficile, est réalisable et cruciale pour le développement. Ces pays ont entrepris des réformes politiques et économiques profondes qui ont permis d’élargir l’accès aux opportunités, de renforcer l’état de droit et de promouvoir l’innovation.

Le cas du Botswana est particulièrement instructif pour la RD Congo. Malgré ses ressources naturelles abondantes, le Botswana a réussi à éviter la « malédiction des ressources » en adoptant des institutions inclusives qui ont favorisé une gestion prudente des revenus tirés des diamants et une répartition équitable des bénéfices. Le succès du Botswana montre que, même dans un contexte africain, il est possible de mettre en place des institutions inclusives qui encouragent la stabilité politique et la prospérité économique.

Conclusion

La République Démocratique du Congo, en proie à des institutions extractives depuis des décennies, est un exemple frappant de la manière dont des structures institutionnelles inéquitables peuvent freiner le développement d’une nation, malgré un potentiel économique immense. A la lumière des travaux des lauréats du prix Nobel d’économie 2024, je mets en évidence la nécessité d’une réforme systémique en RD Congo, en vue de passer des institutions extractives à des institutions inclusives.

Les velléités actuelles visant à modifier la constitution pour étendre et solidifier le pouvoir en place renforcent ce système extractif en maintenant une élite au pouvoir et en bloquant toute ouverture démocratique. Cette manœuvre ne fait qu’accentuer les difficultés économiques et politiques du pays, entravant les réformes nécessaires pour une prospérité à long terme.

Les leçons tirées d’autres pays qui ont réussi cette transition offrent des pistes prometteuses pour la RD Congo. Ce pays n’est pas condamné à perpétuer ce cycle de pauvreté et de sous-développement. Avec des réformes institutionnelles courageuses, une meilleure gestion des ressources naturelles et un engagement en faveur de la transparence et de la justice, la RD Congo peut enfin exploiter son potentiel pour le bien de tous ses citoyens. C’est là que réside la véritable leçon des travaux de Daron Acemoglu, Simon Johnson et James Robinson : les institutions ne sont pas figées dans le temps, elles peuvent être transformées pour créer un avenir plus juste et prospère.

Dr. John M. Ulimwengu

Chargé de recherches senior – Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI)

By amedee

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