Une des tares de la gouvernance en RDC a toujours été l’affectation des fonds publics à des projets sans lendemain. Il est plus que temps que le gouvernement mette fin à cette politique de subventionner la consommation de carburant en RDC. Cette politique résonne comme une dilapidation pure et simple des fonds publics sans résultat escompté. A ce jour, le Gouvernement a payé des millions de dollars pour subventionner le prix du carburant sans qu’il y ait réellement une incidence sur la préservation du pouvoir d’achat des Congolais. Le gouvernement ferait mieux de travailler sur des filets sociaux structurels afin de protéger le pouvoir d’achat des Congolais.
Lors de son passage au Briefing en août 2024, le VPM en charge de l’Économie, Daniel Mukoko, évaluait déjà la facture de paiement de manque à gagner aux pétroliers à 400 millions USD (évaluation en juin 2024), alors qu’on était à peine à la moitié de l’année. En extrapolant, toute chose restant égale par ailleurs, la facture des pertes et manques à gagner à payer aux pétroliers distributeurs pourrait atteindre 800 millions USD à la fin de cette année 2024.
Ces 800 millions USD sont une somme considérable que l’État congolais devra payer aux pétroliers distributeurs au titre des pertes et manque à gagner simplement parce qu’ils pratiquent un prix en deçà du prix réel de vente. Et donc, l’État subventionne le manque à gagner de ces opérateurs économiques, soi-disant pour calmer l’envolée des prix des biens de grande consommation sur le marché.
Le constat fait de ce système instauré depuis plusieurs années est que les résultats escomptés sont un échec cuisant. Les prix des biens et services prennent généralement de l’ascenseur même quant les prix du carburant est stable.
Le prix du carburant n’est pas déterminant
Il faut savoir qu’en République démocratique du Congo, l’inflation n’est pas uniquement une question de prix du carburant. La dépréciation du franc congolais est l’une des causes principales de la réduction du pouvoir d’achat de la monnaie nationale. Dès lors, même si le prix du carburant à la pompe diminue, les coûts des produits de base, souvent importés, continuent d’augmenter à cause de la chute de la monnaie. Autant dire que les réductions de coûts liées au carburant se noient dans l’océan des pressions inflationnistes.
D’autres faits économiques font que le prix du carburant à la pompe ne soit pas déterminant pour stopper l’inflation sur le marché congolais, notamment le caractère monopolistique des pans de secteurs économiques de la RDC, comme la distribution, la logistique ou encore le transport. Dans ces secteurs, les opérateurs peuvent s’entendre facilement à ne pas baisser le prix et les clients n’auront pas d’autres choix, à cause de la faiblesse de la concurrence.
En réalité, ces acteurs bénéficient d’une position de quasi-monopole (les supers marchés, les gros importateurs des produits de grande consommation, les dépôts pharmaceutiques). Cela leur permet de ne pas répercuter immédiatement, voire pas du tout, les réductions de coûts de prix du carburant. Après tout, pourquoi baisser les prix quand les clients n’ont pas d’autre choix. Ils ont ainsi le luxe de préserver leurs marges bénéficiaires, même quand leurs coûts diminuent spécifiquement du fait du prix du carburant.
Il faut aussi prendre en compte qu’en RDC, les infrastructures, notamment les routes et les réseaux de distribution, sont souvent en mauvais état, ce qui augmente les coûts de transport des biens, quel que soit le prix du carburant. À ceci, s’ajoute particulièrement les embouteillages sur les artères en ce qui concerne la ville de Kinshasa. Ces coûts logistiques élevés, amplifiés par les défis de transport dans une ville comme Kinshasa ou dans des régions éloignées, rendent les entreprises réticentes à ajuster les prix en fonction de la baisse du coût de carburant.
Tout aussi, même avec la baisse du prix du carburant, la taxation élevée sur les biens importés et les barrières administratives (voire les tracasseries policières dans les ports et le transport) rendent difficile une réduction des prix des biens et services. Ces taxes, combinées à des marges bénéficiaires déjà serrées pour les commerçants et prestataires de services, limitent la possibilité de répercuter une baisse des coûts de carburant.
En somme, la baisse des prix du carburant à la pompe en RDC n’est qu’une pièce d’un puzzle plus vaste. Tant que l’inflation, les monopoles, les infrastructures défaillantes, la taxation élevée, non sans compter le manque de régulation, ne sont pas redressés, les prix des biens et services ne reflèteront pas toujours les variations du prix du carburant.
Dès lors, le gouvernement, avec cette politique de subventionner le carburant, vit de l’illusion que si l’on bascule à un prix organique du carburant, le panier de la ménagère sera sévèrement affecté. Pas nécessairement, si l’Exécutif national se résout à mettre en place des filets sociaux structurels.
Nécessité d’un réseau de transport optimum
À l’exemple de la gratuité de l’enseignement de base et de la couverture santé universelle, qui sont des filets sociaux structurels, le Gouvernement devrait affecter les 800 millions USD, jusqu’ici inutilement gaspillés au paiement des pertes et manques à gagner des pétroliers, à la mise en place d’un réseau fiable de transport en commun à Kinshasa et dans toutes les grandes villes du pays. Ceci permettra au gouvernement de monter une entreprise fiable de transport en commun susceptible d’absorber tous les besoins des populations en transport.
Dans le secteur de transport par exemple, les fonds destinés à subventionner le carburant peuvent aider au renforcement de Transco, en lui dotant d’un charroi automobile adéquat afin de couvrir totalement les besoins en transport en commun dans les grandes villes comme Kinshasa, Lubumbashi, Goma, Kisangani, etc. Si par exemple pour la ville de Kinshasa, TRANSCO largue 2.000 bus (confortables), et au prix social de 500 FC ou 1000 FC par trajet, ceci aura un impact certain sur le pouvoir d’achat des Congolais, non seulement des agents et fonctionnaires de l’État mais aussi de tous les gagnepetits.
Tenez, à Kinshasa, un fonctionnaire, qui habite la Tshangu et qui travaille à la Fonction publique à Gombe, dépense en moyenne 10.000 FC chaque jour. Ce qui lui couterait jusqu’à 200.000 FC pour les vingt jours de travail du mois. Si donc, TRANSCO largue les 2.000 bus juste pour la ville de Kinshasa même au prix de 1000 FC, ce fonctionnaire ne pourra dépenser que 2000 FC par jour (aller – retour) et 40.000 FC dans le mois. Tout compte fait, alors qu’actuellement le budget transport lui coûte 200.000 FC, avec les investissements du Gouvernement à doter TRANSCO d’un charroi de bus suffisant, il ne dépenserait plus que 40.000 FC et épargnerait 160.000 FC. Ainsi, son pouvoir d’achat sera préservé.
Des solutions structurelles pour préserver le pouvoir d’achat
Dans l’hypothèse où le gouvernement dépenserait même 500 millions USD chaque année pour subventionner les pétroliers distributeurs, d’ici à 2028, il dépensera 2,5 milliards USD pour subventionner le carburant. Or, si le Gouvernement met fin à cette politique aujourd’hui et investit pour un réseau de transport viable et digne de ce nom, avec les 2,5 milliards USD, la RDC pourrait avoir un réseau de transport dans toutes les grandes villes et préserver significativement le pouvoir d’achat des Congolais en pratiquant le prix social de 1000 FC par course quel que soit le trajet.
Ceci permettra de résorber les difficultés de transport en commun. De ce fait, tous les transporteurs véreux disparaitront d’eux-mêmes, notamment à Kinshasa. Malheureusement, alors que le Gouvernement s’apprête à payer des millions aux pétroliers, chez TRANSCO il y a plus de bus en panne que ceux qui sont en circulation, non sans compter le retard enregistré par cette entreprise du portefeuille de l’État pour bénéficier des maigres subventions publiques.
Il en est de même pour les denrées alimentaires, tant que la RDC ne consommera que ce qu’elle importe, le gouvernement ne pourra maitriser les prix des biens de grande consommation. Il faut donc effectivement faire « la revanche du sol sur le sous-sol » en investissant massivement dans l’agriculture, dans l’élevage industriel et la pêche industrielle ainsi que dans la pisciculture.
Le chemin de mille kilomètres commence par un premier pas dans la bonne direction, dit-on. Si donc, le gouvernement Suminwa veut vraiment préserver le pouvoir d’achat des Congolais, il devra aller vers ces solutions de filets sociaux structurels. Payer aux pétroliers distributeurs le manque à gagner, c’est tout simplement dilapider les revenus de l’État sans résultat probant.
En somme, pour préserver le pouvoir d’achat des Congolais, le gouvernement doit se poser des bonnes questions. L’on sait que dans un ménage, les gros postes de dépenses sont : le loyer, la nourriture, le transport, la scolarité et la santé. Jusque-là, le gouvernement n’a travaillé que pour des solutions structurelles qu’en ce qui concerne la scolarité (gratuité de l’enseignement de base) et la santé (la couverture santé universelle qui est en cours). Il reste donc des solutions structurelles pour le logement, la nourriture et le transport.
Amédée Mwarabu