Visuel sur les banques en RDCVisuel sur les banques commerciales en RDC

En tant que Député national et expert en réglementation bancaire, je propose une analyse critique de l’article paru sur le média www.finances-entreprises.com intitulé « Renforcement de la gouvernance bancaire en RDC : une diversification stratégique de l’actionnariat au service de la souveraineté économique » et de la modification 3 de l’Instruction n°18 de la Banque centrale du Congo (BCC), qui impose à toutes les banques opérant en RDC d’inclure au moins quatre actionnaires distincts dans leur capital social.

Cette analyse démontrera l’incohérence de cette mesure au regard des pratiques internationales, son éloignement des réalités du contexte économique de la RDC, et son effet contreproductif sur les acteurs bancaires locaux. Je soutiendrai également que la loi ou le règlement ne devrait pas imposer une dilution forcée du capital social, mais plutôt instaurer des mesures incitatives pour encourager la participation des Congolais – entreprises publiques, sociétés privées et particuliers – à la création de banques commerciales.

Incohérence avec les pratiques internationales

L’exigence d’inclure au moins quatre actionnaires distincts dans le capital social des banques, telle que prévue dans la loi bancaire (article 11) et la modification 3 de l’Instruction n°18 de la BCC (article 14) s’écarte des normes internationales en matière de gouvernance bancaire. La RDC est, à ce jour, le seul pays africain à avoir implantée une telle exigence.

Par ailleurs, les standards internationaux, tels que ceux établis par le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire et les directives de l’Union européenne (par exemple, la directive CRD IV), mettent l’accent sur la « solidité financière, la transparence et la compétence des actionnaires », sans imposer un nombre minimum d’actionnaires. Cette approche permet une flexibilité dans la structure actionnariale, adaptée à la taille, à la stratégie et au modèle économique de chaque banque.

En imposant une dilution obligatoire du capital entre au moins quatre actionnaires, la RDC introduit une contrainte artificielle qui peut décourager les investisseurs étrangers et locaux. Par exemple :

Les investisseurs institutionnels, qui dominent souvent dans les grandes banques internationales, privilégient généralement des structures actionnariales concentrées afin d’assurer une prise de décision efficace. C’est notamment le cas des filiales congolaises d’établissements comme Ecobank, Citibank, Standard Bank ou BOA, toutes entièrement détenues par leurs maisons mères respectives. Imposer une dilution forcée du capital pourrait les dissuader de continuer à investir en RDC ou même freiner l’arrivée de nouveaux acteurs dans le secteur bancaire.

Cette mesure risque de marginaliser la RDC sur la scène financière internationale, en rendant son marché bancaire moins attractif pour les investisseurs étrangers, qui pourraient percevoir cette règle comme une ingérence dans la liberté de structuration du capital.

Trahison des acteurs bancaires locaux et inadéquation au contexte de la RDC

L’article présente l’ouverture du capital comme une « opportunité pour les entrepreneurs congolais », mais cette vision ignore les réalités économiques et opérationnelles du secteur bancaire local. Les acteurs bancaires locaux sont déjà sous pression pour maintenir leur viabilité, car elles opèrent dans un contexte marqué par une faible pénétration bancaire (moins de 10 % de la population a accès à des services bancaires), une instabilité politique, sécuritaire et macroéconomique ainsi que des défis logistiques. L’imposition d’une dilution du capital social constitue une charge supplémentaire qui trahit leur résilience.

a. Contexte économique défavorable

Faible capacité d’investissement local : La RDC fait face à des défis en matière de liquidités et à une classe moyenne encore limitée. Ces circonstances restreignent le nombre d’investisseurs congolais disposés à prendre des participations importantes dans le secteur bancaire. Parmi ceux qui peuvent le faire, seuls quelques-uns sont en mesure de justifier l’origine licite de leurs capitaux, conformément aux dispositions de la loi relative à la lutte contre le blanchiment d’argent. Forcer une dilution du capital sans un tissu économique robuste pour absorber ces parts risque de créer des actionnaires « fantômes » ou de faible envergure, affaiblissant la gouvernance bancaire.

Complexité opérationnelle : Les banques locales, souvent de petite taille, doivent déjà composer avec des coûts élevés liés à la conformité réglementaire, à la gestion des risques et à l’accès aux infrastructures. L’obligation de restructurer leur capital social entraîne des coûts administratifs et juridiques supplémentaires, avec l’inconvénient supplémentaire que cela détournerait leurs ressources de l’expansion de leurs services.

b. Effet dissuasif sur les acteurs existants

L’article menace les banques qui ne se conforment pas à cette mesure, les accusant implicitement de « saboter » l’initiative ou de traiter la population comme des « vaches à lait ». Ce ton coercitif ignore les contraintes pratiques auxquelles font face les banques locales, qui ont su maintenir leurs opérations malgré un environnement économique difficile. Plutôt que de soutenir ces acteurs, la mesure les expose à un risque d’illégalité, ce qui pourrait entraîner des sanctions, des pertes de confiance ou même des fermetures.

c. Absence de lien avec l’inclusion financière

L’article affirme que la diversification de l’actionnariat favorisera une meilleure intégration des banques dans l’économie locale et des produits adaptés aux besoins des citoyens. Cependant, aucune preuve concrète n’étaye ce lien. La faible pénétration bancaire en RDC est davantage liée à des facteurs structurels (infrastructures limitées, faible éducation financière, informalité de l’économie) qu’à la structure actionnariale des banques. Imposer une dilution du capital ne résout pas ces problèmes fondamentaux et pourrait même détourner les ressources des initiatives d’inclusion financière.

Une approche coercitive plutôt qu’incitative

L’imposition d’une dilution obligatoire du capital social entre au moins quatre actionnaires est une mesure coercitive qui contrevient aux principes de liberté économique et de proportionnalité en matière de réglementation. Une mesure contre-productive qui rappelle à tous égards la zairianisation. Au lieu de forcer une restructuration actionnariale, la RDC devrait adopter des mesures incitatives pour encourager la participation des Congolais – entreprises dites publiques, sociétés privées et particuliers – à la création et au développement de banques commerciales. Cette approche serait plus alignée avec les pratiques internationales et les besoins locaux.

a. Mesures incitatives proposées

Incitations fiscales : Offrir des exonérations fiscales ou des déductions pour les entreprises publiques, les sociétés privées et les particuliers congolais qui investissent dans le capital de nouvelles banques commerciales. Par exemple, une réduction d’impôt sur les dividendes issus de participations bancaires pourrait stimuler l’investissement local.

Facilitation de l’accès au capital : Créer un fonds d’investissement public-privé, géré par la BCC ou une institution dédiée, pour cofinancer la création de banques par des entrepreneurs congolais. Ce fonds pourrait offrir des prêts à taux préférentiels ou des garanties pour réduire les risques.

Programmes de formation et de sensibilisation : Mettre en place des initiatives pour sensibiliser les entrepreneurs congolais aux opportunités du secteur bancaire et leur fournir une formation en gouvernance bancaire, en gestion des risques et en conformité réglementaire.

Simplification des procédures d’agrément : Réduire les barrières administratives pour la création de nouvelles banques par des Congolais, tout en maintenant des standards prudentiels rigoureux, pour encourager l’émergence de nouvelles institutions financières locales.

Incohérence de la vision de « souveraineté économique »

L’article présente la diversification de l’actionnariat comme un pilier de la souveraineté économique, mais cette vision est incohérente pour plusieurs raisons :

Risque de fragmentation de la gouvernance : Une dilution forcée entre quatre actionnaires peut compliquer la prise de décision, surtout si les actionnaires ont des intérêts divergents ou manquent d’expertise bancaire. Cela pourrait affaiblir la gouvernance, contrairement à l’objectif affiché.

Dépendance persistante aux capitaux étrangers : En l’absence d’un vivier suffisant d’investisseurs congolais, les banques pourraient être contraintes de chercher des actionnaires étrangers pour se conformer à la règle, ce qui contredit l’idée de souveraineté économique.

Manque de lien avec la stabilité financière : La souveraineté économique repose sur un secteur bancaire stable et solvable, or la dilution forcée peut fragiliser les banques existantes en les obligeant à intégrer des actionnaires moins qualifiés ou financièrement risqués, augmentant ainsi les risques prudentiels.

KASANDA KATUALA Olivier, député national

By amedee

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