Le Professeur Mabi MulumbaLe Professeur Mabi Mulumba

Dans le cadre de la relance de l’économie de la RDC, une attention particulière se focalise sur le rôle que devront jouer les entreprisses relevant du portefeuille de l’Etat. En cette période où le Gouvernement se propose de revisiter et de renforcer la gouvernance de nos entreprises faisant partie du portefeuille de l’Etat, il n’est pas inutile de livrer aux responsables politiques ainsi qu’au public congolais l’image que projette cet important secteur de notre économie et en même temps d’établir un bref inventaire des actions à entreprendre pour en améliorer la gouvernance.

De prime abord, l’image que projette ce secteur n’est point reluisante. Ce constat est confirmé par les résultats des différents contrôles effectués conjointement par la Cour des comptes, l’Inspection Générale des Finances, le Conseil Permanent pour la Comptabilité au Congo ainsi que le Conseil Supérieur du Portefeuille sous la coordination de la Cour des Comptes.

Ci-après la synthèse de ces résultats d’une manière globale :

SYNTHESE DE LA GOUVERNANCE DES ENTREPRISES DU PORTEFEUILLE DE L’ÉTAT

Ces entreprises sont caractérisées par :

  • des effectifs pléthoriques sans commune mesure avec le niveau de leurs activités ;
  • la vétusté ainsi que l’obsolescence de leur outil de production et la difficulté liée à leur renouvellement par manque de moyens financiers ;
  • l’absence de compétitivité face aux opportunités du marché en raison des excès de la politique de rente accordée par l’Etat ;
  • la généralisation, voire l’institutionnalisation des pratiques prédatrices dans la conclusion des marchés de travaux et de fournitures à charge des entreprises ;
  • l’instabilité des mandataires ;
  • le non-respect du principe de redevabilité avec comme conséquence la généralisation de l’impunité, situation favorisée par la non-tenue d’une comptabilité régulière. Certaines entreprises publiques ne connaissent pas de façon exhaustive leur patrimoine immobilier ;
  • les entreprises publiques qui devraient contribuer significativement au Budget de l’Etat sont devenues une charge grevant ce budget ;
  • l’Etat lui-même, au lieu d’orienter de façon constructive les entreprises publiques contribue à leur décapitalisation en se faisant payer des avances sur dividendes par des entreprises n’ayant pas d’états financiers pour savoir si elles ont réalisé de profits ou pas.

ETATS FINANCIERS ET DONNEES DE LA GESTION

Tenue de comptabilité

A quelque deux ou trois exceptions près, la tenue de la Comptabilité n’est pas régulière :

  • Non réconciliation périodique des comptes bancaires et non tenue des livres de banques pour chaque compte bancaire ouvert ;
  • Dépenses de caisse et de banques non justifiées promptement dans les délais requis ;
  • Non tenue du fichier des immobilisations : certains immeubles repris dans le patrimoine de l’entreprise ne sont pas soutenus par un certificat d’enregistrement ni par une police d’assurance ;
  • Non établissement de la balance âgée des soldes clients.

Manuel des procédures administratives, comptable et de contrôle interne

Inexistence de Manuel de Procédures Administratives, Comptable et de Contrôle Interne occasionnant ainsi la perte de pièces justificatives et autres informations importantes. Ces entreprises sont pilotées à vue en l’absence d’un tableau de bord et des procédures formalisées.

Etats financiers ou comptes annuels

  • Retard dans la production des états financiers;
  • Non certification des états financiers produits.

Outils de Gestion et Tableaux de Bord

  • Inexistence de tableaux de bord et d’une gestion budgétaire dans la plupart des entreprises publiques ;
  • Absence ou oubli de facturation de certains clients ;
  • Inexistence de services d’audit ; là où ils existent, ils ne sont pas opérationnels.

Passation des Marchés

Il a été relevé les points suivants :

  • non-respect des procédures en matière de passation des marchés publics ;
  • recours excessifs aux marchés de gré à gré, cause principale de la surfacturation de plusieurs commandes ;
  • gestion des marchés consacrées aux mains d’une seule personne qui : (lance l’appel d’offre ; négocie les prix ;choisit les fournisseurs ; passe les commandes ; organise la réception des produits livrés ; établit les PV de réception.
  • non recours à l’appel d’offre international pour l’importation de produits pétroliers ;
  • passation des commandes très importantes sur listes, quitte à régulariser après avec des bons de commande établis à posteriori ;
  • signature des contrats de fournitures d’équipements avec des commissionnaires en lieu et place des fournisseurs ;
  • paiements importants et successifs en faveur des fournisseurs pour des marchandises non livrées ;
  • la plupart des marchés conclus sont passés de gré à gré sans aucun appel d’offres. Cette pratique est contraire aux dispositions légales en la matière et à la Note Circulaire du Ministre du Budget n° 002/CAB/MIN/BUD/2004 du 10 février 2004 réglementant la passation des marchés par les entreprises publiques ;
  • la tenue lacunaire des fiches de réception des commandes.

GESTION ADMINISTRATIVE

  • des conventions collectives budgétivores qui font absorber près de deux tiers (2/3) du Chiffre d’Affaires ;
  • le nombre du personnel administratif est supérieur au nombre fixé par le cadre organique. Dans certaines entreprises, le personnel d’exécution est inférieur au nombre du personnel de commandement ;
  • dans les entreprises à caractère technique, il arrive que le personnel administratif soit pléthorique et le personnel technique insuffisant ;
  • la pléthore de personnel fait que les créances des travailleurs sur l’entreprise tardent toujours à être apurées. Ce qui crée des foyers de tension et des frustrations dans chef du personnel ;
  • des engagements des agents aux grades et/ou aux fonctions de commandement en violation flagrante des dispositions de la Convention Collective ;
  • des licenciements abusifs et illégaux occasionnant de nombreux litiges auprès des Cours et Tribunaux susceptibles d’entraîner un manque à gagner considérable au détriment de la trésorerie de l’entreprise.

GESTION COMMERCIALE

  • Au sein des entreprises travaillant sur la base d’un système tarifaire, inexistence d’une politique tarifaire adéquate vu l’inexistence d’une comptabilité analytique ;
  • Non exhaustivité de l’enregistrement des factures de consommation et retard dans l’édition et la distribution des factures ;
  • Moindre effort de recouvrement des factures impayées auprès des clients ;
  • Sous-facturation créée volontairement dans le chef de certains agents commis à la facturation dans un but intéressé ;
  • Inexistence d’une politique de constitution de provisions pour les créances âgées.

GESTION TECHNIQUE

L’outil de production dans toutes les entreprises publiques est caractérisé par la vétusté et le manque d’une maintenance régulière.

Situation des impôts et taxes perçus pour compte de l’Etat

Non-déclaration ni paiement des impôts, droits et taxes dus, pourtant collectés pour le compte du Trésor Public.  Il s’agit notamment de :

  • la contribution personnelle sur le revenu ;
  • la contribution sur le revenu locatif ;
  • la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA);
  • les droits et taxes à l’importation.

Responsabilité du Gouvernement

  • les ministères de tutelle alourdissent les charges des entreprises publiques en répercutant certaines de leurs charges sur celles-ci : réquisitions des véhicules, paiement de carburant, et frais de mission au bénéfice des Ministères de tutelle ;
  • les paiements des avances sur dividendes sans tenir compte de la situation des entreprises contribuant ainsi à la décapitalisation de celles-ci  (Tableau n° 1);
  • le laxisme notoire de la part des Ministères de tutelle qui ne se préoccupent pas de la tenue des états financiers par les entreprises publiques, démontrant par-là, de façon notoire que le Gouvernement ne gère pas en bon père de famille les entreprises étatiques ;

CONCLUSION

Le diagnostic de la gestion des entreprises du Portefeuille de l’Etat a largement démontré les limites de la gestion du type public. Cette situation appelle impérativement la restructuration du secteur.

Cette restructuration devrait s’attaquer en priorité au mode de désignation des mandataires dans les entreprises du Portefeuille de l’Etat qui, jusqu’ici n’est pas de nature à favoriser la bonne gouvernance.

La provenance de ceux-ci des composantes politiques ne sécurise pas, d’une façon générale, pour ce qui est de leur profil.

C’est ici l’occasion de saluer la résolution prise au sommet de l’Etat de privilégier dans la désignation des mandataires à la tête des entreprises du Portefeuille de l’Etat, les critères de compétence et d’intégrité morale plus que ceux d’appartenance politique.

Si cette dimension est perçue comme une condition nécessaire, elle n’est cependant pas suffisante.

En pratique, le Gouvernement devra, d’une manière permanente et toutes affaires cessantes, actionner les principes à la base de l’efficience de la gouvernance dans les entreprises. Donc, le Gouvernement devra faire obligation à ses mandataires dans ses entreprises :

  • de se doter de manuels des procédures administratives, comptables et de contrôle interne ;
  • de la tenue des livres comptables ;
  • de l’activation des audits internes ainsi que des commissions chargées de la passation des marchés de travaux et de fournitures à charge des entreprises;
  • de la tenue à jour des fichiers des immobilisations ;
  • de la publication régulière des Etats financiers.

Et enfin, il revient au Gouvernement de diligenter des contrôles réguliers et rapprochés susceptibles d’entraîner des sanctions aussi bien positives que négatives selon les cas en faisant ainsi respecter le principe de redevabilité, seul à même d’assurer l’efficience de la gestion des entreprises du Portefeuille de l’Etat.

En conclusion, il s’avère indispensable, vu l’importance du secteur des entreprises du Portefeuille de l’Etat dans l’économie de la RDC, d’initier une profonde réflexion sur les causes des échecs de toutes les réformes tentées par le Gouvernement dans ce secteur :

  • Nous pensons à la mise en place du Comité de Pilotage de la Restructuration des Entreprises Publiques (COPIREP) avec le concours de la Banque Mondiale. Cette structure était appelée à proposer le cadre juridique dans lequel les réformes devraient se mener ainsi que des solutions alternatives. Malheureusement aucun résultat palpable n’a été enregistré depuis lors.
  • Il faut également mentionner le cas de la loi n°8/008 du 7 juillet 2008 portant dispositions générales de désengagement de l’Etat des entreprises du Portefeuille qui, plus de dix ans après sa promulgation, n’a enregistré aucun résultat.

Professeur Evariste MABI MULUMBA, Premier ministre honoraire

By amedee

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