Le président Tshisekedi a eu le privilège, ou devrais-je dire la chance symbolique, d’être invité par Joe Biden à jouer les figurants sur une photo officielle et à participer à un projet joliment emballé comme un levier de développement économique pour les Africains, mais qui, soyons honnêtes, ressemble davantage à une assurance retraite dorée : Le Corridor de Lobito.
Une fois de plus, les Congolais s’égarent en aboyant au mauvais moment et en s’attaquant au mauvais arbre, concentrant leur colère uniquement sur les conglomérats étrangers qui pillent les richesses du Congo, tout en laissant derrière eux un peuple appauvri et une économie exsangue. Nous avons tendance à oublier qu’avant même cette réalité, Joseph Kabila, accompagné de ses fidèles lieutenants comme Moïse Katumbi, avait déjà hypothéqué ce qui étaient les poumons de l’économie congolaise : la Gécamines, la MIBA, Kilomoto, et bien d’autres. Sa clique a accompli ce que les guerres de sécession au Katanga et au Kasaï n’avaient pas pu accomplir : offrir sur un plateau les ressources naturelles congolaises à des multinationales étrangères, sous le déguisement trompeur de partenariats stratégiques.
En réalité, les figures comme les PDG de Glencore, leurs homologues chinois ou des bandits financiers comme le juif Dan Gertler, qui auraient davantage mérité de poser aux côtés de Biden sur ces fameuses photos.
Cependant, limiter la responsabilité de ce pillage institutionnalisé à Joseph Kabila et son gang serait une vision tristement réductrice. Ce serait fermer les yeux sur une vérité encore plus douloureuse : sous la dictature de Mobutu, les ressources naturelles du Congo n’ont jamais véritablement bénéficié le peuple. Cette époque, teintée d’un gaspillage ostentatoire et d’une autosatisfaction aveuglante, a relégué dans l’ombre les rares accomplissements tangibles de son règne, laissant derrière elle un héritage de promesses brisées et de désillusions profondes.
Aujourd’hui, la réalité est brutale : les Congolais n’ont plus la main sur le guidon, ni même sur la trajectoire de leur économie. Pourtant, grâce à la souveraineté d’une nation, nous conservons encore un atout précieux : les pédales. La véritable question est alors la suivante : comment utiliser ces pédales pour remplir les poches des Congolais eux-mêmes, et non celles de l’État ou des politiciens congolais, surtout lorsque le chemin est tracé par d’autres et que le butin reste sous le contrôle d’intérêts étrangers ?
Les Fausses Prophéties
Depuis la nuit des temps, l’or ne profite pas à celui qui se brûle les mains à le fondre sous une chaleur écrasante, mais bien au bijoutier qui lui donne une valeur émotionnelle.
Aujourd’hui, on vend aux Congolais l’idée que transformer les ressources naturelles sur place serait un tremplin économique pour eux. En réalité, cette vision est une chimère, savamment entretenue. Ces transformations seraient orchestrées par les mêmes multinationales étrangères qui exploitent déjà le Congo, car le pays manque cruellement de savoir-faire technique et de capital pour structurer ces initiatives par lui-même. Le résultat ? Une couche supplémentaire dans la longue et triste histoire de l’exploitation économique, une farce économie politique qui ne ferait qu’augmenter les recettes de l’État et les profits des multinationales, sans jamais toucher positivement la vie des citoyens ordinaires.
Prenons le système de sous-traitance, tel qu’il est pratiqué en RDC. Ce n’est pas simplement une mauvaise idée : c’est un crime contre la sécurité nationale et le sens profond de nationalisme. L’État, sous couvert de régulation, décide arbitrairement qui, parmi les élites, sera le « gagnant » ou le « perdant » de contrats juteux, tout en ouvrant une porte secrète aux étrangers pour détourner les maigres bénéfices censés revenir au peuple congolais. Ce n’est plus de l’incompétence ; c’est de la trahison institutionnalisée, un mécanisme bien huilé de dépossession.
Et que dire de cette fameuse notion de « gagnant-gagnant », si chère aux paresseux intellectuels ? Même dans un match de football, un match nul n’a jamais les mêmes implications pour les deux équipes. Une peut être écartée de la course au titre, tandis que l’autre peut y voir une opportunité de progression. Alors, croire qu’un partenariat entre une nation affaiblie et des multinationales puissantes pourrait être équilibré relève de la naïveté ou de la malhonnêteté.
Ces absurdités témoignent de manière accablante de la primitivité des élites congolaises en matière de concepts d’économie politique. Comment, au XXIe siècle, peut-on encore confondre la gestion stratégique des ressources nationales avec des braderies organisées au profit d’intérêts étrangers ? Avant de rêver de raffineries et de fonderies, il serait bien plus judicieux d’investir d’abord dans un cerveau collectif capable de comprendre que le véritable développement ne se résume pas à gonfler les recettes de l’État ou à hypertrophier une fonction publique inefficace, mais à moderniser la capacité des Congolais à participer activement aux secteurs à revenus élevés et aux industries stratégiques de l’économie mondiale. C’est de se concentrer sur la création d’un écosystème dynamique, où l’apprentissage et l’innovation sont au cœur des priorités, tout en offrant aux citoyens les moyens et les opportunités de prendre en main l’amélioration de leurs propres conditions de vie. Car le développement, ce n’est pas dépendre de ce que l’État donne, mais bâtir une société où chacun a les outils pour s’élever dans la chaîne de valeur globale.
Mais hélas, chez nous, on continue de porter des couronnes d’or tout en s’agenouillant devant ceux qui nous vendent les chaînes.
Comment pédaler au profit des Congolais ?
La réponse semble évidente : il faut repenser la Constitution avec une perspective d’économie politique qui oriente le Congo sur une trajectoire véritablement inclusive et souveraine. Pour que les pédales économiques servent enfin les Congolais, bon nombre des articles dans la nouvelle Constitution proposée établissent les bases nécessaires. Mais voici trois articles essentiels pour l’ajustement :
- ARTICLE 15 : La propriété foncière et le sous-sol – L’article 34 est modifié comme suit :« La propriété foncière comprend le droit au sous-sol sauf pour les étrangers qui ne disposent que d’un droit de concession qui ne peut excéder 15 ans. »
Pourquoi ? Ce changement met fin à la longue tradition de brader les richesses minières et foncières à des multinationales étrangères pour des périodes quasi perpétuelles. En limitant les concessions étrangères à 15 ans, nous renforçons la souveraineté économique et créons des opportunités pour les Congolais d’exploiter leurs propres ressources.
- ARTICLE 13 : Le salaire minimum garanti – L’article 36 est modifié comme suit : « Le pouvoir central doit fixer et publier, chaque 20 février, le salaire horaire minimum interprofessionnel garanti national. L’ajustement ne peut être inférieur au taux d’inflation de l’année précédente, et des données statistiques sectorielles doivent également être publiées. Le gouvernement provincial doit fixer et publier, chaque 20 mars, le salaire horaire minimum interprofessionnel garanti provincial. Le salaire minimum interprofessionnel garanti au niveau provincial doit être équivalent ou supérieur à celui établi au niveau national. »
Pourquoi ? Cet article garantit non seulement un salaire décent pour les Congolais, mais aussi une transparence sur les ajustements économiques, évitant ainsi des décisions arbitraires. En fixant des seuils précis et basés sur des données économiques réelles, on crée un filet de sécurité économique qui profite directement aux travailleurs.
- ARTICLE 16 : Les contrats d’extraction et la création de valeur locale – L’article 35 est modifié comme suit : « L’État ne peut traiter ou conclure des contrats qu’avec des sociétés enregistrées en République Démocratique du Congo dans lesquelles des Congolais possèdent plus de 50 % des actions ou détenues par un citoyen congolais. Une entreprise qui produit ou exerce une activité d’extraction ne peut ni exporter ni vendre directement sur le marché. Cette dernière devra vendre à sa filiale ou à une autre entreprise ou à un particulier qui aura alors la liberté de vendre sur le marché ou d’exporter le bien. Cela génère un impôt sur les transactions économiques. »
Pourquoi ? Cet article révolutionne le système actuel en transférant le pouvoir économique vers les Congolais. Prenons l’exemple de la MIBA : en tant qu’entreprise publique, elle ne pourrait ni exporter ni vendre ses diamants directement. Au lieu de cela, elle devra passer par des négociants ou courtiers congolais, créant ainsi une chaîne de valeur locale. De même, une entreprise privée comme Glencore serait obligée de vendre ses produits à une filiale enregistrée en RDC ou à une autre entreprise congolaise, générant ainsi des recettes fiscales pour les gouvernements locaux et renforçant l’écosystème économique national.
Illustration pratique : Le Corridor de Lobito
Plutôt que de pleurer sur le lait renversé ou les opportunités perdues avec le Corridor de Lobito, ces articles offrent une solution proactive. Ils établissent un cadre où chaque investissement étranger doit bénéficier directement à des secteurs contrôlés par les Congolais, tels que les courtiers, les négociants, et les entreprises locales.
Ces propositions, soumises en tant que projet de nouvelle Constitution et à travers des pétitions individuelles à l’Assemblée Nationale et au Sénat, ne visent pas simplement à corriger les erreurs du passé. Elles cherchent à bâtir un écosystème dynamique où les secteurs stratégiques et les industries sont dominés par des Congolais, garantissant ainsi que le développement économique profite directement au peuple.
En somme, ces pédales économiques ne doivent pas être abandonnées à d’autres pour déterminer la vitesse à laquelle notre économie doit avancer. Elles doivent être actionnées par les Congolais eux-mêmes, car c’est en reprenant le contrôle de ces pédales que nous pourrons décider de la direction à emprunter, pour bâtir un avenir qui profite réellement à notre peuple.
Jo M. Sekimonyo
Économiste politique, théoricien, militant des droits de l’homme et écrivain