Chaque matin, dès que j’ouvre mon ordinateur, je me retrouve face à une avalanche de nouvelles sur la RDC. Et à chaque fois, je constate le même phénomène : un Himalaya d’idées fausses et de sophismes sur la richesse et le développement d’une nation. Un labyrinthe idéologico-politico-économique si tentaculaire qu’on pourrait passer toute sa vie à essayer de le démêler, sans grand succès. Et pourtant, je radote, je répète, je m’en-tête, avec l’espoir fou qu’un jour tout ça finisse par s’enraciner quelque part. Qui sait ? Peut-être qu’une goutte d’eau acharnée percera finalement la roche. Ou, plus probablement, on se contentera d’un rocher légèrement humide.
En réfléchissant à un thème pour boucler cette année en « triste esquille », pourquoi ne pas revenir au cinquième point du menu de ma pseudo-campagne présidentielle ? Souvenez-vous, celle qui a été avortée par un juge, RIP depuis, sans laisser la moindre trace de verdict dans son testament. Peut-être que la RDC a besoin d’un concept nouveau : un « testament judiciaire fantôme », pour qualifier ces décisions qui ne paraissent jamais et laissent tout le monde dans l’expectative. Dans un pays où les fausses idées prospèrent aussi vite que des mauvaises herbes, une bizarrerie de plus ne ferait pas vraiment tache, n’est-ce pas ?
Fuite des capitaux, à grand pas
Que dire que les Congolais ne sont pas dégoûtés, moins encore choqués, de voir nos responsables d’institutions publiques, signer des contrats à tour de bras avec des étrangers, trop souvent blancs, soit dit en passant, pour réaliser divers projets en RDC ? Le fait que tout ce cirque se traduise par des fuites de capitaux massives semble passer à la trappe. Pourtant, c’est notre Trésor public qui y laisse des plumes : on le ponctionne en argent liquide, ou on l’hypothèque sous forme de dette, alourdissant encore la charge financière d’un pays déjà endetté maladroitement.
Comment se fait-il que si peu de gens décrient ce pillage institutionnel avec tambours et trompettes battant ? Sans doute parce qu’une avalanche de discours trompeurs fait passer ces contrats pour des solutions miracles au sous-développement. Or, tout ce qui brille n’est pas or, et ces accords internationaux ressemblent davantage à des voies express pour exfiltrer l’argent public qu’à de véritables partenariats gagnant-gagnant.
Sarcasme macabre
La Première ministre Judith Suminwa Tuluka persiste et signe : « L’entrepreneuriat représente la voie la plus prometteuse pour intégrer les jeunes sur le marché de l’emploi. »
On pourrait s’en réjouir si cette déclaration s’accompagnait de politiques publiques modernes et sérieuses et de mesures incitatives concrètes, pour soutenir les entrepreneurs et commerçants nationaux et favoriser l’innovation, plutôt que de brandir le phantasme de l’élite congolaise selon lequel la jeunesse congolaise serait paresseuse et manquerait de volonté pour créer des activités rentables.
La cheffe du gouvernement omet deux failles cruciales :
- La qualité du système éducatif, qui devrait doter les jeunes d’outils modernes pour rivaliser sur la scène internationale, notamment dans les secteurs à forte valeur ajoutée.
- Le rôle essentiel de l’État, qui consiste à créer un environnement réellement propice à l’entrepreneuriat et au commerce.
Au lieu de cela, on nous propose un « fonds de garantie » qui, en fin de compte, replace les Congolais sous la coupe de banques majoritairement détenues par des étrangers, précisément ceux que l’on prétend critiquer. Pourquoi ne pas plutôt miser sur des start-up et des PME congolaises, avec des financements directs ? Quand on regarde tous les scandales financiers, on constate déjà la disparition de milliards de USD issus du Trésor public dans des circuits opaques, sans aucun impact positif sur l’économie nationale. Autant injecter ces fonds directement dans le tissu économique local : même si seule une poignée d’entrepreneurs et de commerçants parviennent à percer, les retombées potentielles en valent largement la peine, comme tout bon économiste le confirmera.
Pire encore, non seulement la Première ministre ne prête aucune attention à ma pétition pour relever le salaire minimum, un levier crucial pour stimuler la demande intérieure et développer une véritable classe moyenne, mais elle confond l’entrepreneuriat avec le commerce, sabordant de fait l’importance même de ce dernier. Certes, c’est déjà un premier faux pas. Mais même si l’on corrigeait cette confusion, déverser des milliards sur ces deux volets suffirait-il à faire de la RDC une « success story » ? Hélas, non.
Le cinquième point de mon menu
Le véritable enjeu, c’est l’absence d’une véritable échelle. Si l’on observe de près les économies avancées, qu’il s’agisse des États-Unis ou de la Chine, on constate que la logistique et les infrastructures constituent le socle de leur réussite. Prenez Amazon ou Alibaba, par exemple : leur force ne vient pas tant de la qualité ou de la variété des produits disponibles sur leurs plateformes, que de la maîtrise absolue de la chaîne d’approvisionnement. C’est précisément cette performance logistique qui leur permet d’acheminer pratiquement n’importe quel produit, n’importe où, en un temps record.
La Chine a choisi la voie la plus simple et la plus efficace pour tout pays qui cherche à sortir de la précarité : développer massivement ses chemins de fer. Grâce à un réseau ferroviaire tentaculaire, elle peut déplacer des matières premières ou des produits bruts et finis depuis ses innombrables boutiques et usines, réparties à travers un immense « sous-continent », jusqu’à ses centres industriels puis aux ports pour expédier des cargaisons entières vers le reste du monde. Non seulement c’est un gain logistique en termes de production, de transport et de distribution à grande échelle, mais former une main-d’œuvre pour construire et entretenir un réseau ferroviaire se révèle bien plus simple, plus rapide et moins coûteux que de multiplier les infrastructures aéroportuaires.
Pas du prêt-à-porter
En RDC, hier comme aujourd’hui, qu’il s’agisse des colons d’autrefois ou de nos voisins et de nos soi-disant partenaires actuels, tous ont vite compris l’intérêt de construire un chemin de fer, mais toujours dans un seul but : faire déguerpir plus vite nos matières premières hors du pays. Ne nous leurrons pas : ce n’est pas à eux de se préoccuper du bien-être des Congolais ou du développement local.
C’est donc à nous, Congolais, de prendre les rênes, de bâtir par nous-mêmes d’abord l’échelle, pour les personnes et les marchandises à l’échelle locale, afin de désenclaver véritablement le pays, puis de déployer cette infrastructure jusqu’aux ports, pour désenclaver l’économie nationale au profit des commerçants, entrepreneurs et industriels congolais. En somme, il s’agit de libérer le potentiel de notre économie au bénéfice de tous.
Il convient d’insister : pour un territoire aussi vaste, la mise en place d’un réseau ferroviaire local solide s’avère indispensable et bien plus abordable que de développer des lignes aériennes coûteuses, surtout pour un usage quotidien. Un service postal, public ou privé, pourrait alors s’appuyer sur l’extension du réseau ferré pour assurer des livraisons rapides et à moindre coût dans toute la RDC. Imaginez des colis traversant le pays en un temps record, sans passer par les complications de l’aviation ! C’est une technologie à la fois accessible, réplicable, créatrice d’emplois, formatrice pour la main-d’œuvre locale et dynamisante pour le marché intérieur.
Sourd et/ou aveugle ?
Tant que le cinquième point de mon menu reste absent des schémas on continuera de rater le train, littéralement, du développement. Autrement dit, toute promesse d’un boom économique national au profit des Congolais sans échelle un miroir aux illusions. C’est moins glamour, un peu moins théâtrale, que de signer un énième contrat à l’étranger, mais beaucoup plus efficace pour sortir la RDC de l’ornière et la propulser sur les rails d’une véritable prospérité.
Comment la RDC peut-elle financer de si grands projets ? Eh bien, j’ai déjà écrit assez pour vous montrer toutes les façons ingénieuses, et parfois un peu loufoques, dont nous pourrions contourner les obstacles financiers. Il suffit de fouiner dans mes précédents articles sur le sujet.
Pour le moment, je me demande si, en 2025, la goutte d’eau finira par éroder le rocher ou si l’on va continuer à contempler l’Himalaya d’absurdités.
Let wait and see.
Rire et pleure!
Jo M. Sekimonyo
Économiste politique, théoricien, militant des droits de l’homme et écrivain