Dans cette Tribune, Luc Alouma prend à témoin tous ceux qui sont passés à la Faculté d’économie de l’UNIKIN, formés par des brillants professeurs. Chercheur et écrivain en politique publique de développement, Luc Alouma estime qu’un économiste est censé apporter des réponses concrètes à la pauvreté, au chômage, à l’inégalité, à la désespérance des masses. Ayant suivi le gouverneur de la Banque centrale du Congo sur Télé 50 parlant du raffermissement de la monnaie nationale, cet écrivain et auteur de plusieurs ouvrages est d’avis que  Réévaluer artificiellement une monnaie dans un environnement à forte rigidité des prix dans un cadre macroéconomique qui se recherche est inutile, voire risqué.De son avis, il aurait fallu maintenir le taux du franc congolais à 2800 quit à renforcer la production intérieure, rétablir la confiance, puis laisser le marché ajuster le taux de manière crédible et durable.

Note à l’attention des économistes formés en RDC (par les professeurs MABI MULUMBA, KABEYA TSHIKUKU, MUBAKE MUMEME, MOKONDA BONZA, MUKENI LAKUP’TIER, LUMPUNGU KAMANDA, NDONGALA TADI LEWA, NYEMBO SHABANI, KINZONZI NVUTUKIDI, KIKA MAVUNDA, MWALABA, KABUYA et bien d’autres)  

Ma réaction à l’intervention du Gouverneur de la BCC sur Télé 50 loucasalouma@yahoo.fr 

Le 14.10.2025

Je m’adresse à vous en tant que l’un des vôtres, ayant eu le privilège d’être formé dans les mêmes amphithéâtres, sous la rigueur intellectuelle de maîtres émérites qui ont façonné notre pensée économique. Pourtant, je peine à me qualifier d’économiste, car ce titre, bien plus qu’une appellation académique, est pour moi *un engagement de vérité, de responsabilité et d’impact social*.

Porter le titre d’économiste, c’est plus que maîtriser des théories ; c’est répondre à une vocation : celle de comprendre, diagnostiquer et transformer la société. Un médecin soigne les corps, un juriste défend le droit et la justice sociale, mais un économiste est censé apporter des réponses concrètes à la pauvreté, au chômage, à l’inégalité, à la désespérance des masses.

Comment alors nous revendiquer économistes alors que notre peuple continue de vivre dans la précarité, que notre économie piétine, que les décisions publiques manquent d’ancrage scientifique, et que nos analyses s’effacent souvent derrière la complaisance ou le silence ?

Même dans un contexte marqué par des blocages institutionnels, politiques ou sociaux, nous avons le devoir de rester fidèles à la vérité scientifique, car celle-ci ne devrait jamais être sacrifiée sur l’autel de l’opportunisme ou de la peur. Le savoir économique que nous avons reçu n’a de valeur que s’il est mis au service de la société, avec rigueur, courage et honnêteté.

Je nous invite à une introspection collective, à redonner sens à ce que nous sommes et à ce que nous prétendons incarner.

Être économiste, c’est refuser la résignation. C’est s’opposer au mensonge, même technique. C’est garder la science libre, vivante et utile.

Ou bien, serions-nous en train de nous transformer en « homo economicus », cet être théorique, parfaitement rationnel, toujours guidé par l’optimisation et le calcul d’intérêt, à force de l’avoir étudié, modélisé et intériorisé dans nos schémas de pensée ?

À force de raisonner uniquement en équilibres, en courbes, en rendements marginaux et en taux d’intérêt, n’aurions-nous pas perdu de vue l’humain*, ses limites, ses émotions, ses souffrances, et surtout, la complexité sociale qui échappe aux modèles ?

Peut-être qu’à force de former des économistes selon des paradigmes détachés des réalités africaines, nous produisons des experts capables d’expliquer la misère sans jamais la résoudre.

Il est temps de nous demander si notre savoir sert à comprendre le monde pour le transformer, ou s’il ne fait que justifier l’ordre établi, au nom d’une rationalité qui ne profite qu’à quelques-uns.

Il se dit que le gouverneur actuel de la Banque Centrale du Congo est l’un des nôtres, formé à Lovanium et fort d’une carrière dans les institutions internationales. Aujourd’hui, il se trouve au cœur de nombreuses décisions de politique économique dans notre pays.

En l’écoutant récemment sur Télé 50, il a suscité en moi une série de réflexions profondes sur notre économie. Si la clarté de son exposé technique mérite d’être saluée, je reste préoccupé par l’absence d’ouverture vers d’autres courants d’analyse et de pensée économique. La gestion monétaire d’un pays ne peut se résumer à un cercle restreint de technocrates, aussi compétents soient-ils. Elle nécessite une démarche inclusive, mobilisant également des experts indépendants, des chercheurs universitaires et des acteurs socio-économiques de terrain.

Cette posture fermée, bien qu’en apparence rigoureuse, pourrait finir par éloigner la BCC des réalités que vivent au quotidien les Congolais. Pour que les politiques monétaires aient un véritable impact, elles doivent s’articuler avec les dimensions sociales et productives de l’économie. Une réforme de la méthode s’impose : écouter, dialoguer, confronter les idées, et surtout, replacer l’humain au cœur de toute politique économique.

1. Sur les causes antérieures de la dépréciation du franc congolais (FC)

Les explications avancées par le gouverneur ne tiennent pas à l’examen technique.

Premièrement, évoquer le financement des travaux dits de « 100 jours » comme cause de la dépréciation du FC est discutable. En réalité, ces fonds provenant de reserves de change n’ont pas été injectés massivement dans le circuit économique au point d’entraîner une pression inflationniste immédiate. Le lien de causalité direct avec la chute du FC est donc peu crédible.

Deuxièmement, s’agissant des réserves obligatoires, il faut rappeler qu’elles ont pour objectifs fondamentaux de :

– réguler la masse monétaire,

– limiter les risques de liquidité bancaire,

– et préserver la stabilité du système bancaire.

Mais dans un environnement marqué par une thésaurisation élevée, aussi bien informelle (dans les ménages) que formelle (dans les banques), la BCC n’a qu’un contrôle partiel, voire incertain, de la masse monétaire réelle en circulation. De plus, le système de crédit étant quasi-inexistant ou dysfonctionnel, les leviers classiques de transmission monétaire sont affaiblis.

En matière de stabilité monétaire, les indicateurs attendus sont :

– un taux de change stable (et non artificiellement fixé),

– une inflation modérée et prévisible,

– une monnaie crédible qui inspire confiance.

Les réserves obligatoires, en tant qu’instrument technique, ne visent pas à faire apprécier ou déprécier la monnaie. Leur objectif est d’ordre prudentiel, pas de pilotage du taux de change. Le fait qu’elles aient été converties en dollars, en violation des règles, puis qu’elles aient perdu de leur valeur en FC au même titre que les autres avoirs bancaires, relève d’un défaut de gestion et non d’une conséquence macroéconomique structurelle.

Ainsi, l’argument selon lequel l’ajustement de leur coefficient, aurait causé l’appréciation du FC, marque un autre defaut de gestion qui ne devrait pas passer pour une prouesse technique.

2. Sur le taux directeur de 25 %

Ce taux est l’un des plus élevés au monde*, et cela ne saurait être considéré comme normal* dans une économie fonctionnelle. Un tel niveau de taux même ramené à 17,5% reflètune politique monétaire de rigueur extrême, justifiable uniquement à très court terme pour contenir des déséquilibres graves.

Cette vérité monétaire — qui est pourtant fondamentale — n’a pas été explicitement expliquée par le gouverneur. Et ce, très probablement pour ne pas exposer davantage le gouvernement, dont les déficits chroniques semblent être devenus une seconde nature dans la gouvernance successive, aggravés par un train de vie institutionnel démesuré et une faiblesse dans le contrôle des dépenses publiques.

En éludant cette réalité, le gouverneur a préféré orienter le débat vers des explications techniques plus acceptables, tout en évitant de pointer du doigt le financement monétaire d’un déficit budgétaire structurel.

3. Sur les véritables causes structurelles de la dépréciation du franc congolais

Les origines profondes de la dépréciation du franc congolais (FC) sont connues et bien identifiées. Elles ne relèvent ni du mystère ni de la complexité technique inaccessible.

Parmi ces causes, on retrouve en tête le non rapatriement systématique des devises issues des exportations, notamment par les grandes entreprises minières. Ces dernières, tout en réalisant des profits colossaux, ont contourné les obligations légales, conservant leurs devises à l’extérieur. Ce sont les mêmes curieusement qui monopolisent des lignes de crédit pour leurs dépenses de fonctionnement, asséchant ainsi les capacités de crédit du reste de l’économie. Cette captation des ressources prive les PME, les ménages et les autres acteurs économiques d’un accès aux financements, paralysant ainsi la croissance endogène.

À cela s’ajoute l’absence incompréhensible de réserves stratégiques en or, alors même que la RDC est l’un des plus grands producteurs mondiaux. Ce paradoxe illustre une grave déconnexion entre la richesse naturelle du pays et la gestion de sa politique monétaire.

 Autre facteur aggravant : le recours systématique à des paiements d’urgence, non planifiés et non adossés à une logique économique claire. Ces décaissements intempestifs alimentent un déséquilibre budgétaire chronique et témoignent d’un manque de discipline dans la gestion publique cautionné par la BCC.

Malheureusement, plutôt que de s’attaquer à ces causes structurelles évidentes, le gouverneur semble dériver le débat vers des pistes hasardeuses. Il est notamment regrettable de le voir faire appel à la création d’un fonds de pension par capitalisation, censé mobiliser une jeunesse déjà sans emploi, sans toit, et profondément désillusionnée. Or, proposer un tel mécanisme dans un contexte où le système de retraite actuel est lui-même défaillant et sans crédibilité, relève d’une fuite en avant qui risque d’aggraver la défiance envers les institutions. Il faut déplorer en outre l’exemple de l’Italie pour justifier l’action monétaire unilatérale de la BCC, oubliant de reconnaître la mafia d’Etat qui y sévissait.

Au lieu de proposer des solutions réalistes et prioritaires, on assiste à un discours technocratique déconnecté des réalités sociales et économiques du pays, avec des mesures qui ressemblent plus à des tâtonnements qu’à de véritables réformes de fond.

Enfin posons nous la question centrale suivante : une monnaie locale qui s’échange à 2800 FC pour 1 dollar mérite-t-elle réellement d’être réévaluée à 2300 FC, alors même que les prix des biens et services restent rigides et ne s’ajustent pas à cette appréciation ?

Objectivement Non, réévaluer une monnaie locale de 2800 à 2300 FC pour 1 $ dans un contexte où les prix des biens et services sont rigides (c’est-à-dire qu’ils ne baissent pas en réaction à l’appréciation du taux de change) n’a que peu de sens économique, et peut même être contre-productif.

Voici pourquoi :

1. L’appréciation théorique du FC ne se traduit pas en baisse des prix :

– Si les prix en FC restent élevés malgré la « force » retrouvée du FC, cela signifie que le pouvoir d’achat du citoyen ne s’améliore pas.

– L’économie réelle ne ressent aucun gain, et le consommateur reste pénalisé.

2. Effet négatif sur la compétitivité :

– Une monnaie trop forte pénalise les exportations en les rendant plus chères à l’étranger.

– Elle encourage les importations. Ce qui peut aggraver le déficit commercial si la production locale est faible.

3. Distorsion de marché :

– Une telle réévaluation sans fondements économiques solides peut entraîner des marchés parallèles, du stockage spéculatif, ou une fuite vers le dollar

4. Désalignement avec la réalité économique :

– Si l’appréciation n’est pas soutenue par une croissance réelle, un afflux de devises, ou une politique fiscale saine, elle devient une illusion monétaire.

Conclusion :

Réévaluer artificiellement une monnaie dans un environnement à forte rigidité des prix dans un cadre macroéconomique qui se recherche est inutile, voire risqué. Mieux serait de stabiliser le taux de 2800 FC, renforcer la production intérieure, rétablir la confiance, puis laisser le marché ajuster le taux de manière crédible et durable.

Luc Alouma Mwakobila,

Chercheur et écrivain en politique publique de développement, 

Auteur des plusieurs ouvrages et articles scientifiques, 

Expert fiscal en commerce international, 

Promoteur d’école privée

By amedee

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