Malgré les corps-à-corps qui se poursuivent dans l’Est de la RDC et la pression du M23/AFC pour reobtenir le statut d’acteur central, plutôt que d’être relégué, une fois de plus, au rôle de simple pion, les Congolais s’efforcent de donner du sens à la promesse répétée vendredi par Kinshasa et Kigali de « poser les-gants-de-boxe » sous l’œil menaçant de Washington. Sans un véritable changement de ton de ballet diplomatique de Luanda, Nairobi et Qatar, a rigueur du bâton et la douceur de la carotte brandies par Trump suffiront-elles à vraiment sceller une harmonie ou entériner une impasse où chacun accepte d’en sortir vaincu ? un accord perdant-perdant ?
Quant à la métamorphose, passer du fracas assourdissant des tambours de guerre au martèlement prometteur des marteaux-piqueurs de la reconstruction, elle reste un vœu pieux. Il est impensable que Paul Kagame se contente d’un tel accord sans obtenir d’abord, sur un plateau, la tête de ceux qui ont ébranlé le mythe de sa puissance militaire, les Wazalendos qui ont même traversé la frontière de Goma à Gisenyi pour y semer la terreur pendant des heures dans son petit royaume. Et, à en juger par le nombre d’opportunistes paresseux mais financièrement insatiables et des êtres tenaillés par une soif de pouvoir telle qu’ils ont transformé la violence contre des citoyens paisibles et la haute trahison à de grotesques bouffonneries politiques, de simples moyens au service de leurs ambitions, je n’y mettrais pas ma main au feu.
Mais au bout du compte, côté congolais, le carrousel infernal de négociations sans applications des résolutions et les flots incessants de briefings propagandistes signés Muyaya, aussi vains qu’un tambour vidé de sa résonance, toujours présent, mais vidé de toute substance, ont défiguré notre patriotisme et désorienté notre colère. Bref, nous sommes moralement et émotionnellement épuisés.
Pourtant, ce désenchantement n’a pas guidé l’administration Trump a cherché à reprendre la main et à maîtriser l’incendie des intrigues économiques et culturelles meurtrières qui embrasent la région des Grands Lacs.
Point de bascule des cowboys
La progression du M23–RDF vers Walikale a instantanément perturbé les équilibres sécuritaires et économiques bien au-delà du Nord-Kivu. Si la résistance farouche des milices locales et de certains détachements de la FARDC reste une triste habitude, cette offensive a, pour la première fois, a créé un goulet d’étranglement improvisé dont l’onde de choc a percuté les marchés mondiaux.
Sous le coup de la panique suscitée par ces affrontements, Alphamin, unique exploitant industriel d’étain du Nord-Kivu et régulièrement pointé du doigt pour son indifférence à l’égard des communautés locales, a brutalement suspendu l’exploitation de la mine de Bisie, exposant d’un coup environ 6 % de l’offre mondiale au risque de l’incertitude. En dix jours, le cours spot de l’étain a bondi de près de trente pour cent, rappelant la dépendance structurelle de l’électronique mondiale aux minerais sous les pieds des Congolais.
Partout dans le monde, la flambée des prix est rapidement devenue un enjeu de sécurité économique majeur. Aux États-Unis, les industriels, alarmés par la hausse du coût de la soudure des circuits imprimés, ont aussitôt mobilisé leurs relais politiques. L’exécutif, pour sa part, y a vu une opportunité en or pour réinvestir la cartographie des métaux critiques de la région des Grands Lacs, jusque-là largement sous la coupe de Pékin. On dépêche alors, en médiateur plausible, un homme d’affaires libano-américain lié par alliance à l’ancien président Donald Trump. Sa mission était de forger un compromis subtil où ni Kigali ni Kinshasa ne peuvent revendiquer ne victoire formelle, tout en préservant le capital politique de chaque camp et en garantissant aux firmes américaines l’essentiel des retombées économiques.
Sur papier, personne ne capitule vraiment ; chacun sauve la face, tandis que la géoéconomie des minerais critiques confirme une fois de plus sa capacité à redéfinir les priorités diplomatiques bien au-delà des collines volcaniques du Nord-Kivu. Mais si l’accord aboutit, Kigali pourra proclamer avoir agi en garant de la stabilité régionale, même si Kigali devra plier symboliquement « la tête basse, mais avec un sourire ».
La fable de la farce
Imagine un village où, en pleine crise d’ado collective, tous les garçons se proclament majeurs en tapant du pied : « Plus personne ne nous dira comment vivre sous le toit des parents adoptifs ! ». Le Conseil des barbus, las de les entendre, organise alors des mariages arrangés à la chaîne, histoire de pacifier l’hormone ambiante. Toi, chanceux (ou maudit, c’est selon), tu tombes sur la perle rare, la plus belle fille du coin, généreuse de formes, d’esprit et de fertilité. Les autres héritent, disons, de l’expérience inverse et la jalousie prend feu. Tes voisins passent leurs journées à tourner autour de ta maison, à vanter leur riz piteux dans l’espoir de goûter à ton plantain. Quelques-uns, plus hardis (ou plus lâches), poussent l’audace jusqu’à prétendre que tu ne gâtes pas assez l’enfant qui leur ressemble ; alors, sous couvert de justice, ils se joignent à lui pour battre ses frères et sœurs… jusqu’à les tuer, et, s’ils en ont l’occasion, agressent ta femme, arguant que leur malchance conjugale justifie leur violence.
Épuisé, tu vas te plaindre aux anciens. Le patriarche, après un soupir savant, te répond avec la gravité d’un juge de paix : « « Mon fils, il est vrai que ta femme est une splendeur. Fais donc preuve de gentillesse : laisse tes voisins mal lotis passer la nuit avec elle. Solidarité villageoise, tu comprends. Cesse donc de te lamenter. Enterre les gosses que leur frère a massacré, tu en as bien assez en réserve, non ?» Tandis qu’il prononce ce verdict grotesque, les jaloux tirent déjà au sort la première nuitée. La scène prête à rire, mais le cœur a du mal à suivre.
Cette fable n’est qu’un miroir un peu trop franc de la RDC. La belle épouse représente ses richesses naturelles, les voisins envieux sont les puissances étrangères ou les groupes armés qui, sous couvert d’amitié ou de protection, pillent et violentent. Les enfants malmenés sont la population congolaise, ballottée entre protecteurs autoproclamés et prédateurs concrets. Les anciens, eux, incarnent cette communauté internationale qui reconnaît la beauté du pays mais, au nom d’une « stabilité » opportuniste, tolère qu’on le partage sans son consentement. Quant au mari déboussolé, c’est l’État congolais, qui crie sa souveraineté tout en négociant souvent à la porte de sa propre maison.
Je n’esquisse qu’un rire jaune, histoire d’empêcher les larmes de s’éterniser. Oui, la beauté sans gardien attire les loups, la fable rappelle surtout qu’aucun destin n’est gravé. Il suffit d’un verrou solide, qu’on poste des pitbulls sans pitié et de voisins enfin tenus à distance pour qu’un jour la belle épouse puisse vieillir sans peur et que ses enfants grandissent sans se demander à qui ils appartiennent.
Fin de quel parcours ?
L’accord conclu à Washington sert désormais de décor à une redistribution éclair des rentes ministérielles.
Sur le plan politico-logistique, quel sentiment anime ceux, radiés de leurs partis pour certains et munis de projets opportunément plagiés pour d’autres, se sont glissés dans la file menant au bureau du conseiller spécial à la sécurité présidentielle afin de décrocher un strapontin au sein du prétendu gouvernement d’union ? Force est de constater que ce qui devait être l’arche de Noé de la classe politique congolaise s’est muée, en définitive, en tour de Babel.
Dans cet entre-temps stratégique, la position de ces aspirants ministres, bien que traversée d’incertitudes, reste nettement plus favorable que celle des diverses factions Wazalendo et le duo M23-AFC. Reléguées à la périphérie du nouveau compromis, ces formations armées voient se refermer les fenêtres de leurs sources de revenus. Leur avenir, qu’il s’agisse de démobilisation, d’intégration ou d’exil forcé, demeure aussi obscur que les brumes volcaniques couvertes par le Nyiragongo au-dessus de Goma.
En l’absence d’une méthode efficace de neutralisation ou retraite bien rémunérée effective de tous ces assassins qui ravagent les vies humaines ou pillent l’économie nationale, qu’ils soient novices ou vétérans, jeunes ou âgés, sans scrupules et couverts de prétextes fallacieux, la façade des compromis ne sera qu’un écran de fumée, dissimulant la prochaine reconfiguration violente du rapport de force régional, alimentée par les appétits voraces de certains États à l’est de la RDC.
Et maintenant…
Les massacres de villages entiers sont devenus de simples faits divers, mais je n’ai encore jamais lu qu’un gorille ait été abattu. Pour protéger ces primates, il y a en place des bataillons paramilitaires, hélicoptères et caméras thermiques dernier cri. C’est justifier, la guerre a l’Est c’est une affaire entre humains. Mais on apprend que ce même montage d’effectifs et de technologies, voire en plus grand et agressif, sera bientôt consacré à sécuriser les concessions minières, au prix de la même dévalorisation tragique des vies qui s’y égrènent.
Ces aberrations devraient inciter les Congolais à raisonner en Congolais, avec lucidité et modernité, plutôt que de s’en remettre à l’obsession des autres pour la protection des gorilles ou les puissances étrangères de formuler nos priorités pour bâtir une prospérité partagée. Mais cela exige la définition et la compréhension par les Congolais mêmes d’un principe de sélection rigoureux, de règles claires et de mécanismes adaptés.
Pour être clair, je ne suis pas sympathisant du régime actuel, je suis contre prendre le pouvoir en coulant le sang des compatriotes. Non seulement c’est la plus primitive forme d’accéder au pouvoir, mais idéologiquement toute vie humaine est sacrée. Je crois fermement que seule la « dictature de la majorité », autrement dit la démocratie, dans son vrai sens et application, est à même de transformer notre extraordinaire richesse culturelle en moteur d’un développement partagé.
Malheureusement, notre expérience démocratique a été pervertie. Sous les Kabilistes, la loi électorale a été tordue au profit de clans et de réseaux clientélistes, comme si l’intérêt général n’était qu’un décor de théâtre. Les Tshisekedistes n’ont fait que prolonger ce poison, ravivant les mêmes logiques de rente pour des gains à court terme. Leur appétit insatiable nous a menés au bord d’une nouvelle humiliation nationale historique.
Que cela déplaise à beaucoup, 2028 approche à grands pas. À présent, il est clair que les Congolais ne devrait exiger de Félix Tshisekedi qu’une seule chose : qu’il retrousse ses manches, voire qu’il se suicide politiquement, à l’instar de son prédécesseur acculé par le temps, et, avant la fin de ce mandat, sont dernier, non pour nourrir les chimères d’une RDC miraculeusement désenclavée et prospère ou pour concocter des formules pour doter seulement aux fonctionnaires d’état et l’élite politique un train de vie contemporainement humain, mais plutôt remettre le compteur là où il l’a trouvé : un pays certes cabossé par la pauvreté, mais non déchiqueté.
Jo M. Sekimonyo
Économiste politique, théoricien, militant des droits des humains et écrivain