Daniel Mukoko, VPM en charge de l'EconomieDaniel Mukoko, VPM en charge de l'Economie

C’est le titre intriguant d’un article que j’ai lu ce matin, et qui mérite une lecture critique. En effet, la transparence dans le suivi des prix ne peut se décréter par un simple narratif institutionnel, aussi bien intentionné soit-il. Elle se vérifie dans les faits, à travers la « perception réelle des prix » par les agents économiques — commerçants, consommateurs, producteurs — qui, chaque jour, vivent la fluctuation des coûts dans leurs transactions.

Or, ces agents économiques subissent un « dérèglement des valeurs » qu’ils tentent chacun de contourner à leur manière. Seuls les consommateurs restent désarmés face à cette distorsion. On voudrait leur faire admettre une stabilité monétaire, alors qu’en réalité, rien ne s’améliore de manière significative dans leur quotidien. Le franc congolais (FC), bien qu’ayant connu une appréciation nominale, n’a pas produit un effet visible et durable sur le panier de la ménagère. On pourrait même dire que, loin d’avoir amélioré le coût de la vie, cette appréciation l’a rendu encore plus contradictoire et confus.

 La vraie question est donc : comment une institution publique peut-elle produire elle-même des statistiques, les interpréter à sa guise, puis les brandir comme gage de réussite ? Peut-on vraiment parler de transparence quand les données utilisées dans le monitoring des prix sont à la fois produites, traitées et diffusées par l’acteur politique qui doit en tirer bénéfice ? Cela soulève un vrai problème de crédibilité méthodologique et de conflit d’intérêt informationnel.

Pire encore, ces statistiques se limitent à une lecture partielle et souvent décontextualisée : elles couvrent principalement des produits importés, dont la variation dépend effectivement du taux de change. Mais cela  ignore une large portion de l’économie nationale, marquée par :

– une fragmentation extrême du marché,

– une prédominance de l’informel,

– une désintégration sectorielle entre l’économie urbaine et l’économie rurale,

– et une méfiance croissante des acteurs économiques, fondée sur la crainte de décisions arbitraires plutôt que sur la confiance dans des politiques prévisibles.

Dans ce contexte, même les efforts du ministère de l’Économie nationale, bien qu’intentionnés, ne suffisent pas à saisir la complexité réelle de notre système économique. L’idée de réguler une économie aussi désarticulée nécessite un changement de paradigme. Elle exige des instruments analytiques nouveaux, des données multisources, et surtout une politique économique repensée à l’échelle du territoire,  pas seulement dans les cercles concentriques de Kinshasa. Et même en tentant de relancer l’économie rurale par injonction administrative à travers de voyages effectués par le ministère de l’économie nationale à l’intérieur du pays, sans comprendre ses logiques propres ni ses vulnérabilités structurelles, risque encore un autre échec.

Appréciation du franc congolais : entre illusion statistique et déconnexion économique

En suivant attentivement le raisonnement du ministre de l’Économie nationale, on note que l’appréciation du franc congolais (FC) de 21 % serait en train de se transmettre aux prix des biens et services, avec une baisse moyenne des prix de 13 %. À première vue, cette lecture semble suggérer une transmission positive du taux de change sur l’économie réelle. Toutefois, une analyse plus rigoureuse révèle une simplification préoccupante de la réalité économique.

D’abord, l’écart de 9% entre l’appréciation monétaire et la variation des prix traduit une perte nette du pouvoir d’achat des consommateurs, qu’aucune moyenne ne saurait masquer. En économie, on ne peut se satisfaire de simples comparaisons de pourcentages sans tenir compte de la dispersion des données, mesurée par l’écart-type par exemple, qui éclaire les inégalités réelles dans la répercussion des effets monétaires. Toute conclusion qui omet ces indicateurs de volatilité risque d’induire en erreur les décideurs et d’accentuer la « désinformation économique » auprès du public.

Plus encore, fonder un discours sur une supposée « stabilité », simplement parce que certains produits ont baissé dans une proportion non homogène, revient à abuser de la logique statistique. Ce type d’analyse partielle fragilise la crédibilité de la science économique, surtout lorsqu’il est utilisé pour justifier des décisions politiques ou embellir un tableau économique instable.

Prenons l’exemple d’un tiers des paniers de consommation surveillé par le ministère de l’Économie, concentré sur quelques produits importés, alors que la majorité du pouvoir d’achat des familles congolaises est absorbée par des dépenses alimentaires locales. Or, pour ces produits à forte composante locale, les données indiquent des variations allant de -20 % à +10 %. Une telle volatilité ne reflète aucun effet direct du taux de change, mais plutôt une absence de transmission dans les chaînes de valeur internes. Le ministère lui-même reconnaît ce « manque de répercussion » du gain monétaire sur les prix finaux.

Dans ces conditions, parler de « rééquilibrage des prix » ou d’« amélioration du pouvoir d’achat » semble prématuré, voire irresponsable. Il n’y a ni stabilisation, ni mécanisme structuré de transmission des gains de change à l’économie réelle.

Si les autorités économiques veulent restaurer la confiance, elles doivent respecter les méthodes scientifiques, croiser les sources statistiques, intégrer l’économie informelle et tenir compte de la complexité des chaînes de valeur locales. Car si la population finit par discréditer la science économique, ou rejeter brutalement la politique publique, ce sera le fruit d’un « manque de rigueur », et non d’une incompréhension populaire.

Luc Alouma M.

loucasalouma@yahoo.fr

By amedee

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