Durant son premier mandat, le camp Tshisekedi s’était investi dans une lutte acharnée pour neutraliser ses rivaux, démanteler les réseaux d’influence hérités de l’ancien régime, et recentrer le pouvoir exécutif entre ses mains. Ce long détour politique a conduit à un gaspillage d’années cruciales sans progrès significatif pour la population. Pire, cette obsession a germé une reconfiguration inquiétante des menaces sécuritaires, dont l’émergence du M23-AFC.

Toutefois, il a entamé son dernier mandat avec toutes les coupes et couronnes. Tshisekedi dispose aujourd’hui d’un contrôle quasi absolu sur l’appareil institutionnel, de la République de la Gombe jusqu’aux provinces. À cela s’ajoute le deal historique attendu le 27 juin 2025 censé pacifier la gourmandise économique du Rwanda et neutralisera ses pantins sur le terrain.

Bientôt plus d’excuses possibles. Il ne pourra plus dissimuler l’immobilisme ou l’improvisation derrière des alibis politiques. L’heure est venue de gouverner ou d’assumer. Mais encore faut-il rappeler qu’en régime semi-présidentiel, le président règne, mais c’est le Premier ministre qui gouverne. Ce dernier est censé incarner la coordination effective de l’action gouvernementale, porter une vision claire de la politique intérieure et faire le lien entre l’exécutif et les institutions. Si cette personne issue de la majorité parlementaire reste une silhouette effacée, sans cap ni autorité, le pouvoir restera suspendu, bien sûr concentré mais stérile. Et donc, pour ce dernier mandat de Tshisekedi, toute la différence entre un règne qui marquera l’histoire et un autre mandat tristement gaspillé se jouera précisément là.

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Alors qu’en interne la gouvernance reste fragmentée et la population de plus en plus défiante, la reconfiguration régionale forcée par Washington exige une main ferme. Or, sous Tshisekedi, les deux figures issues de son propre camp ayant occupé la primature n’ont fait que s’effacer, et ont réduit cette fonction à une ombre institutionnelle.

Sama Lukonde s’est contenté d’exécuter sans initiative, s’enfermant dans un rôle d’exécutant docile plutôt que de chef de gouvernement. Difficile de dire ce qu’il a réellement accompli, si ce n’est offrir au pays une série de belles photos, figé dans un sourire aussi énigmatique qu’insondable. Et pourtant, il a été grassement récompensé en accédant à la présidence du Sénat, un signal dévastateur pour toute âme ambitieuse qui viendrait après lui : l’effacement paie.

Judith Suminwa, bien que sa nomination ait été saluée comme un jalon historique pour la représentation des femmes, elle s’est inscrite dans la continuité d’une primature effacée, sans vision ni emprise. Loin d’insuffler un souffle nouveau, elle a prolongé la fonction dans son rôle de caisse de résonance de la présidence, un simple relais institutionnel, vidé de sa substance politique.

Sur le plan économique, aucun schéma moderne et fort pour redonner de l’oxygène au portefeuille des Congolais ou au marché de l’emploi, pourtant au cœur de la mission de tout gouvernement qui vont même de pair avec les rhétoriques présidentielles. Pas de plan, pas de cap, pas de réforme. Mais elle pourra toujours se targuer d’un mérite, comme Matata Ponyo en son temps, d’avoir réussi à stabiliser la pauvreté.

Sur le plan diplomatique, hormis quelques petits hurlements de slogans soigneusement scriptés par la présidence, Judith Suminwa est restée spectaculairement absente face à la dégradation sécuritaire à l’Est. Alors que l’on attendait des déplacements stratégiques ou des prises de position fortes, elle s’est cantonnée à un agenda protocolaire, laissant à la présidence le monopole de la parole et de l’action. Cette posture passive affaiblit la crédibilité du gouvernement aux yeux des partenaires régionaux et internationaux, et jette le doute sur la capacité réelle de la primature à peser dans les arbitrages d’État.

Mais tout a commencé par la composition de son gouvernement, fruit de compromis politiques et d’alliances de circonstance, révélateur d’une absence criante de volonté de rupture. Plutôt que de s’entourer de profils techniques, audacieux ou porteurs de réformes, Judith Suminwa a validé la reconduction de figures controversées, inertes ou habiles jongleurs, comme s’il s’agissait d’un casting pour un cirque. Elle s’est fait humilier par le « crucifié » Mutamba, dont l’audace est allée jusqu’à la défier publiquement sans craindre la moindre conséquence politique. Sur l’ajustement du SMIG, elle s’est vue contrainte de corriger son propre ministre après la publication du décret, preuve éclatante qu’elle n’avait même pas été tenue informée d’une décision pourtant majeure relevant de sa responsabilité directe. Et il ne fait plus aucun doute qu’elle ne tient en laisse ni les gros calibres comme Bemba, ni les barons tenaces comme Paluku. Résultat d’un orchestre sans chef de file, où chacun impose son propre rythme sans harmonie, cette cacophonie politique prolonge une continuité dans la médiocrité qui étouffe toute velléité réformatrice.

Judith Suminwa incarne ainsi la gestion timorée et sans relief d’un pouvoir en mode fin de spectacle. La première ministre, loin de mobiliser son équipe ministérielle, semble se cantonner à des apparitions symboliques dénuées de portée politique ou de politique économique, confirmant ainsi les craintes d’une gouvernance creuse. Elle n’a ni imposé sa voix ni orienté les débats publics sur les priorités nationales, renforçant l’image d’une primature subordonnée et décorative.

De « yemeyi » à Président de la République?

On peut bien comprendre que, que cela soit de son propre fait ou non, Félix Tshisekedi se retrouve seul au four, au moulin, et même aux champs. Cette concentration du pouvoir a déjà compromis, en pratique, non seulement les réformes promises, mais aussi son héritage politique face à une population lasse d’attendre des résultats tangibles.

Le schéma de gouvernance verticale, bien qu’efficace pour consolider le pouvoir, n’a cessé d’accentuer le fossé entre les promesses électorales et la réalité d’une continuité structurelle avec les pratiques de la Deuxième et de la Troisième Républiques. Comme sous Mobutu ou Kabila, le pouvoir central absorbe les contre-pouvoirs, désactive les mécanismes de redevabilité et gouverne par le haut, au prix d’un affaiblissement durable des institutions intermédiaires. Cette centralisation étouffe l’émergence de politiques publiques adaptées aux réalités locales, alors même qu’une génération de Congolais, connectée au monde et politisée à coups de données, de hashtags et de vidéos virales, réclame avec une impatience croissante des réformes concrètes en matière de justice sociale, de sécurité et de développement économique.

En plus, alors qu’un accord de paix entre la RDC et le Rwanda semble se profiler sous l’œil bienveillant mais intéressé de Washington, Tshisekedi aborde un moment charnière de son dernier mandat. Ce « deal », s’il se concrétise, redéfinira les équilibres régionaux, mais risque aussi de sacrifier une part de souveraineté économique de l’Est congolais en échange d’une stabilité fragile. Dans ce contexte, maintenir un Premier ministre effacé reviendrait à entériner une diplomatie à huis clos, sans contrepoids interne ni légitimité populaire. Pour que cet accord ne soit pas perçu comme un diktat extérieur ou une capitulation déguisée, Tshisekedi a la majorité parlementaire dans le creux de la main, doit nommer (ou faire évoluer) un chef de gouvernement capable de clarifier la position de la RDC, coordonner l’exécution des engagements, et engager un dialogue national franc autour des concessions consenties.

Il ne s’agit plus d’avoir un Premier ministre loyal et silencieux, mais un profil stratège, techniquement solide, politiquement autonome et capable de défendre l’intérêt national sans se diluer dans des logiques clientélistes. Il faut une figure dotée d’une légitimité régionale, capable de mobiliser les gouverneurs, de relancer des politiques publiques gelées et de rétablir l’autorité de l’État dans les territoires laissés pour compte. Pour marquer son héritage, Tshisekedi a besoin d’un exécutif à deux têtes réellement fonctionnelles : la présidence comme arbitre stratégique, la primature comme moteur opérationnel. C’est à ce prix que la dernière phase de son mandat pourra être lue non comme une simple survie politique, mais comme une tentative crédible de redressement national.

Du « pays-solution » à l’être-solution

Il faut d’abord le reconnaître : tous les gouvernements formés sous le règne de Félix Tshisekedi, y compris celui issu de la coalition FCC-CACH, ont souffert d’un même mal. Faute de coordination, de cohérence ou de cap assumé, ces gouvernements ont donné l’image d’un orchestre sans partition, chacun jouant sa note sans qu’on puisse identifier la cible réelle. Le président comme ses ministres sont apparus dispersés, tiraillés entre survie politique et improvisation permanente. En l’absence d’une ligne directrice, la gouvernance est restée une performance brouillonne, et les réformes promises, reportées ou édulcorées.

Il faut un modèle inédit, dans lequel souveraineté nationale, innovation technologique et inclusion sociale s’articulent de manière concrète et mutuellement renforcée. Et cela suppose de cesser de placer un accent excessif sur l’entrepreneuriat de façade et les conférences bavardes sur le leadership, pour mettre enfin l’accent grave sur l’ingéniorat, la maîtrise technique, et la capacité à bâtir, coder, réparer, concevoir. Ce n’est pas d’un discours que la RDC manque, mais de structures, d’outils et de cerveaux mobilisés pour faire.

L’objectif n’est pas de faire rayonner la RDC à travers des initiatives vitrines, destinées à séduire ceux qui trouvent plaisir a faire du safari dans la jungle de la pauvreté, mais de faire du Congolais lui-même un « être-solution » dans les transitions économiques modernes du XXIe siècle. Un tel pari ne peut reposer sur un Premier ministre décoratif. Il exige une figure visionnaire, stratège, politiquement audacieuse, capable de coordonner les gouverneurs, négocier avec les puissances étrangères, et traduire une idée ambitieuse en politique publique. Tshisekedi, s’il portait ce pacte, laisserait une trace comparable à un Lee Kuan Yew numerique, un dirigeant ayant osé proposer une vision long-termiste au cœur d’un monde en transition. Ce serait une première en RDC, un chef de l’État qui au lieu de simplement gérer l’héritage aurait osé redessiner l’avenir, un avenir dans lequel chaque Congolais peut se projeter, se construire et réellement améliorer sa condition et son destin.

Jo M. Sekimonyo
Économiste politique, théoricien, militant des droits des humains et écrivain

By amedee

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