Plus de 6,5 milliards USD de dépenses publiques exécutées en procédure d’urgence, selon la reddition des comptes de l’exercice budgétaire 2023. Ceci veut dire que le Trésor public a décaissé plus 6,5 milliards USD pour payer des dépenses n’ayant pas des pièces justificatives comptables ni soubassements requis par la loi relative aux finances publiques. Le risque c’est la surfacturation de ces dépenses non sans compter la fraude et la corruption qui vont avec ce mode de gestion des finances publiques. La solution se trouve, d’une part, à la signature d’un « Pacte sur l’orthodoxie budgétaire » entre l’Exécutif national et l’Assemblée nationale qui est l’autorité budgétaire, soutenu par un mécanisme d’évaluation de l’exécution du Budget tous les deux ou trois mois le long de l’exercice budgétaire. D’autre part, il y a lieu de pénaliser désormais la faute de gestion en renforçant notamment les pouvoirs de la Cour des Comptes. Autant le Pacte de stabilité du cadre macroéconomique signé en aout 2020 a permis d’instaurer une gestion rigoureuse des finances publiques sur base caisse (plus de planche à billets ou financement monétaire de déficit public) en harmonisant la politique économique du Gouvernement et la politique monétaire de la Banque centrale du Congo, autant le Pacte sur l’orthodoxie budgétaire peut instaurer désormais la discipline budgétaire.
Les débats à l’Assemblée nationale sur la reddition des comptes de l’exercice 2023 ont révélé une fois de plus que l’exécution du Budget national en République démocratique du Congo est devenue aléatoire. La tradition des débats autour de la reddition des comptes parait désormais comme une perte de temps pour la République, car personne n’est sanctionné pour ses fautes de gestion, alors que le Budget est une loi couchée en marbre à travers sa promulgation par le président de la République.
De dépassements budgétaires au recours excessif des dépenses exécutées en mode urgence en passant par la pratique des fonds mis à disposition (MAD), l’exécution du Budget en RDC viole systématiquement, et depuis des années, la Loi relative aux finances publiques (La LOFIP). Au point que ces pratiques, à mettre à charge des ordonnateurs politiques notamment les ministres des Finances et les gouverneurs de province mais aussi de fait les comptables publics, galvaudent la sincérité du Budget national.
Mieux vaut prévenir que guérir
La reddition des comptes de la loi des finances 2023 révèle que 51% des dépenses du gouvernement ont été exécutées par une procédure d’urgence. Sachant que le budget exécuté en 2023 est de l’ordre de 13 milliards USD, ceci veut dire que plus de 6,5 milliards USD ont été dépensé sans les soubassements nécessaires ni pièces justificatives. Ce fait laisse libre cours aux surfacturations, à la fraude, à la corruption, bref à la dilapidation des deniers publics.
Il est donc impératif que l’Exécutif national et l’Autorité budgétaire qui est l’Assemblée nationale signent un « Pacte sur l’orthodoxie budgétaire », tout en mettant un mécanisme d’évaluation périodique de l’exécution du budget. Dans cet ordre, le Gouvernement et l’Assemblée nationale, à travers sa commission ECOFIN, peuvent se réunir par exemple tous les deux mois pour évaluer l’exécution du budget et apporter des correctifs nécessaires tout le long de l’exercice budgétaire.
Ce Pacte sur l’orthodoxie budgétaire aura le mérite de stopper cette pratique d’exécution du Budget en violation des prescrits de la Loi relative aux finances publiques. Il va donc instaurer la discipline budgétaire dans le chef de l’Exécutif. Une anticipation qui éviterait des indexations sans impacts de la part des députés et sénateurs lors des plénières sur la reddition des comptes. Ça c’est d’une part.
D’autre part, le moment paraît opportun de penser urgemment au renforcement des pouvoirs de la Cour des comptes. Cette dernière a reçu mission d’effectuer, de manière indépendante, un contrôle externe à posteriori des finances de l’Etat et de ses démembrements ainsi que des organismes, entreprises publiques et autres entités bénéficiant du concours financier de l’Etat.
Lors de la rentrée judiciaire 2024-2025, le Premier président de la Cour des comptes avait plaidé pour un renforcement de cet organe de contrôle afin de lutter plus efficacement contre la corruption et les antivaleurs qui l’accompagnent.
S’appropriant ce combat, des ONG œuvrant dans le secteur de la bonne gouvernance des finances publiques comme l’ODEP (Observatoire de la dépense publique), en collaboration avec des associations de la Société civile, ont fait des recommandations allant dans le sens de renforcer les pouvoirs de la Cour des comptes.
Dans cet ordre, l’ODEP, en collaboration avec diverses organisations de la société civile, a formulé des recommandations pour obtenir du Parlement la révision de certaines dispositions de la loi organique n°18/024 du 13 novembre 2018, qui régit la composition, l’organisation et le fonctionnement de la Cour des comptes.
Dans ses recommandations, l’ODEP exige l’extension de la compétence de la Cour des comptes en matière de discipline budgétaire aux ordonnateurs politiques, notamment les Ministres et les Gouverneurs de provinces ; appelle également à la reconnaissance explicite du pouvoir de la Cour des comptes de saisir directement les comptes bancaires des auteurs d’irrégularités graves, sans passer par leurs supérieurs hiérarchiques. L’autre recommandation concerne l’habilitation de la Cour des comptes à ordonner la confiscation et la restitution des fonds ou biens subtilisés suite à une faute de gestion. Cette ONG insiste également sur la nécessité d’une transmission obligatoire et automatique à la Cour des comptes de tout contrat de marché public signé, tant au niveau du pouvoir central que des provinces.
Il faut donc une Cour des comptes avec des pouvoirs renforcés pour qu’elle soit en mesure de sanctionner les fautes de gestion qui affectent de manière conséquente la qualité de la gestion des finances publiques et les indicateurs macroéconomiques.
Tout comme le Pacte de stabilité du cadre macro-économique et monétaire d’août 2020
L’on se rappellera qu’en août 2020, sous les auspices du Premier ministre d’alors, Sylvestre Ilunga Ilunkamba, les ministres des Finances, Sele Yalaguli, et celui du Budget, Baudouin Mayo, côté Gouvernement, et la Banque centrale du Congo (BCC), représentée par son Gouverneur Déogratias Mutombo, avait signé le pacte de stabilité du cadre macroéconomique. Par ce Pacte, le Gouvernement s’est engagé, par les ministères du Budget et celui des Finances intervenant dans la chaîne de la dépense, à observer scrupuleusement la gestion sur base caisse. Celle-ci impose à n’engager et à ne liquider une dépense qu’en fonction de la disponibilité des fonds publics.
Plus concrètement, le Gouvernement s’est engagé à ne plus consommer les crédits budgétaires au-delà de ses ressources disponibles pour briser définitivement le cycle de déficits publics avec ses corollaires. Bien plus, le Gouvernement s’est engagé à respecter les procédures de la chaîne de la dépense publique en évitant tout paiement en mode urgence. Voilà, il en était déjà question à cette époque de limiter les paiements en mode urgence.
De son côté, la Banque centrale du Congo, par ce pacte, s’interdit définitivement à ne plus faire des avances au Gouvernement pour financer ses déficits du compte du Trésor. C’est à dire elle ne devrait plus faire tourner la planche à billet ou le financement monétaire pour soulager la trésorerie de l’Etat. Aussi, s’interdit – elle tout paiement en procédure d’urgence sollicité par le Gouvernement.
Par ce Pacte de stabilité, l’Institut d’émission devrait veiller à utiliser tous les instruments de sa politique monétaire pour stabiliser les taux de change et d’inflation sur les marchés de change et des biens et services.
Tous ces efforts de gestion entre les deux parties devraient les obliger à bien jouer chacun son rôle à travers la politique budgétaire pour le Gouvernement ou la politique monétaire en ce qui concerne la banque centrale.
Ce Pacte de stabilité vise à encadrer, par ses règles, une bonne exécution de la politique budgétaire par le Gouvernement, et de la politique monétaire par la Banque centrale du Congo.
La loi est claire mais non respectée
Dans son référé de janvier 2023, soit le plus récent à ce jour, la Cour des Comptes qui épinglait les fautes de gestion récurrentes avait noté avec justesse que l’ampleur et la récurrence des cas de dépassements des crédits, dont les causes sont à rechercher dans l’inobservance des règles de gestion des finances publiques par certains intervenants dans le circuit de la dépense, sont de nature à « affecter la sincérité des prévisions et la qualité de la gestion budgétaire du pays ».
Ce n’est que la LOFIP n’autorise pas les dépenses d’urgence, bien au contraire elle réglemente dans quel cas y recourir. En effet, la Loi n°11/011 du 13 juillet 2011 relative aux finances publiques, en son article 91 alinéa 2 dispose « …toute dépense, régulièrement engagée et liquidée par l’ordonnateur fait l’objet préalablement à son paiement d’un ordonnancement ». Autant dire que toute dépense publique doit passer par les quatre étapes de la chaine de la dépense.
De même, le décret n°13/050 portant règlement général sur la comptabilité publique du 6 novembre 2013, en son article 81 alinéa 3 et 4, exige que les dépenses soient engagées, liquidées et ordonnancées avant d’être payées, exception faites pour certaines dépenses limitativement énumérées dans le Manuel révisé des procédures et du circuit de la dépense publique. Lesquelles dépenses doivent être payées à travers le mécanisme de Mise à disposition des fonds (MAD), sans ordonnancement préalable et faire l’objet d’un engagement, d’une liquidation et d’un ordonnancement de régulation.
Cependant, le Manuel révisé des procédures et du circuit de la dépense publique limite le nombre des dépenses revêtant un caractère urgent et exigeant une certaine proactivité dans le Chef du Gouvernement. Il s’agit des dépenses générées par un acte imprévisible comme une catastrophe, une calamité, une agression extérieure, un conflit armé, une épidémie, et une évacuation d’urgence. Pour ces cas seulement, on use de la « Procédure d’urgence réglementée ». C’est-à-dire, la dépense est traitée de manière accélérée dans la chaine de la dépense mais tout en respectant les quatre étapes de la chaine de la dépense. C’est que le gouvernement ne respecte généralement pas puisque dans la reddition des comptes 2023 il est fait cas notamment de paiement de la dette publique intérieur non certifié à travers le mécanisme de procédure d’urgence.
A savoir que la Cour des comptes est l’Institution Supérieure de Contrôle des finances publique de la République Démocratique du Congo. Elle porte un jugement sur la régularité des états financiers et des comptes des comptables publics selon une approche contradictoires et conformément à des normes généralement reconnues.
La Cour des comptes contribue par ses missions de vérification et de contrôle de conformité à l’amélioration de la gouvernance financière et au respect des principes de reddition des comptes. Elle soumet au Président de la République, au Parlement et au Gouvernement un rapport assorti de recommandations sur les résultats de ses travaux. Elle entend servir la Nation en veillant à une utilisation transparente et efficace des finances et des biens publics.