Il suffit de lire les communiqués du FMI et de la Banque mondiale pour croire que la RDC vit un âge d’or. Les institutions internationales y saluent la « résilience macroéconomique », la « stabilité inflationniste retrouvée » et un « cadre budgétaire en amélioration ». Les graphiques sont élégants, les mots soigneusement choisis, et les félicitations pleuvent comme si l’économie congolaise reposait sur des fondations granitiques plutôt que sur un château de sable rongé par la misère quotidienne.
Au même moment, les statistiques les plus élémentaires racontent une tout autre histoire, la RDC est couronnée comme pays comptant le plus haut taux de pauvreté extrême du monde. Plus de la moitié de la population vit sous le seuil vital, sans accès stable à l’eau potable, aux soins, ni à l’éducation de base. L’indice de capital humain classe régulièrement le pays au bas du tableau mondial. Un enfant né sur ce territoire ne développera qu’une part limitée de son potentiel productif en raison de déficits alimentaires, éducatifs et sanitaires majeurs. Paradoxe glaçant, mais on applaudit la performance macroéconomique d’un pays dont la majorité des citoyens tentent simplement de survivre au jour le jour.
À cette pauvreté structurelle s’ajoute une crise alimentaire permanente. Le pays affiche l’un des taux d’insécurité alimentaire les plus alarmants au monde. Selon les dernières analyses du Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC), plus de 25 millions de personnes vivent en insécurité alimentaire aiguë et peinent à assurer un repas complet. Peut-on vraiment parler de résilience lorsque près d’un Congolais sur quatre se bat au quotidien pour se nourrir ? Les institutions qui valident cette performance macroéconomique préfèrent manifestement s’en tenir aux tableaux de bord qui les plaisent plutôt qu’aux assiettes vides.
Pendant ce temps, le ministère des Finances se félicite d’avoir “atteint les objectifs de mobilisation fiscale”. En clair, l’État revendique un triomphe basé sur une extraction plus agressive de ressources auprès d’une économie déjà en voie d’appauvrissement accéléré. Une prouesse technique, peut-être, mais une faillite sociale complète. Les recettes supplémentaires ne rehaussent ni le capital humain, ni la qualité de l’enseignement, ni la santé publique, ni la sécurité alimentaire. Elles n’assainissent pas non plus un marché du travail fragmenté, où le chômage réel est masqué derrière une méthodologie qui exclut la majorité des travailleurs précaires. Cette manne fiscale ne se transforme pas en développement. Elle alimente le train de vie des institutions et les tableaux de bord conçus pour flatter le FMI et la Banque mondiale, des partenaires qui préfèrent célébrer une fiction macroéconomique plutôt que s’attarder sur l’expérience vécue par la population.
Trois décennies de conseils désastreux
Depuis les années 1980, le FMI et la Banque mondiale répètent les mêmes ordonnances, peu importe le pays ou le contexte. Le remède ne change jamais. Il faut privatiser tout ce qui rapporte, déréguler les marchés, flexibiliser la main-d’œuvre, réduire les dépenses sociales, ouvrir les frontières commerciales et dépendre encore plus des flux financiers extérieurs. De l’Amérique latine à l’Asie du Sud, du Maghreb à l’Afrique subsaharienne, ces institutions ont imposé un modèle identique qui a généré les mêmes effondrements économiques. Les industries nationales se sont affaiblies, les services publics se sont délités, les dettes ont explosé pendant que les populations ont été projetées dans une précarité devenue structurelle. La prétendue expertise se limite à recycler un manuel figé, incapable de tenir compte des réalités locales.
À cette rigidité s’ajoute une indulgence troublante envers les crimes économiques. Le FMI et la Banque mondiale se présentent comme neutres et purement techniques. Pourtant, elles ferment les yeux dès qu’une irrégularité profite aux objectifs qui leur tiennent réellement à cœur. Il suffit que les gouvernements en place garantissent le remboursement de la dette, maintiennent le contrôle monétaire exigé et préservent un climat favorable aux investisseurs étrangers. Dès que ces conditions sont réunies, les détournements, les contrats prédateurs, les ventes douteuses d’actifs publics ou les manipulations budgétaires disparaissent du radar. La morale s’efface devant la comptabilité. Le bien-être des populations passe après la satisfaction des créanciers.
Le paradoxe devient flagrant lorsque l’on observe la manière dont les puissances économiques traitent ces mêmes institutions. Aucun gouvernement de Washington, Paris, Tokyo ou Pékin n’accepterait que le FMI définisse ses politiques budgétaires, industrielles ou sociales. Ces recommandations ne s’appliquent jamais aux pays riches. Elles servent uniquement à discipliner les économies vulnérables. L’Europe et les États-Unis ne suivent pas les conseils du FMI. Ils les imposent au reste du monde. Cette asymétrie révèle la véritable fonction de ces institutions. Elles ne sont pas des guides. Elles sont des outils de gestion du déséquilibre mondial.
Kabila – Tshisekedi, pécheurs économiques ou criminels économiques ?
Sous Joseph Kabila, la RDC a connu une vague de privatisations menée sous la supervision bienveillante de la Banque mondiale. Cette période a été marquée par des cessions massives d’entreprises publiques, de mines et d’actifs stratégiques, souvent dans une opacité totale. Des multinationales et des partenaires sans visage ont acquis des ressources essentielles pour des montants dérisoires. Le pays a perdu des milliards et les institutions internationales ont enveloppé ce pillage dans un vocabulaire aseptisé, parlant d’erreurs de transition ou de restructurations nécessaires. La réalité est plus brutale. Une grande partie du patrimoine national a été liquidée sans aucune protection des intérêts collectifs. Avec Matata Ponyo, le FMI et la Banque mondiale ont repris exactement la même musique, saluant la « résilience macroéconomique », la « stabilité inflationniste retrouvée » et un « cadre budgétaire en amélioration ». Le ton restait le même qu’aujourd’hui, flatteur, technique, déconnecté du vécu populaire et parfaitement compatible avec la poursuite du démantèlement silencieux de la souveraineté économique du pays.
Félix Tshisekedi a inauguré son mandat avec la promesse d’une rupture. Pourtant, les contrats les plus décriés ont été confirmés, prolongés ou légèrement retouchés, sans changement de logique. Son gouvernement multiplie à son tour les annonces de ventes de blocs pétroliers, de concessions minières et d’actifs publics. La vision reste extractive. On vend ce qui existe déjà sans concevoir comment créer de la valeur au sein du territoire. Les réformes ressemblent à des opérations de cosmétique administrative. Le pays ne change pas de modèle. Il change simplement de gestionnaires. Les deals chinois hérités de Kabila illustrent parfaitement cette continuité. De nouvelles signatures, mais la même dépendance, la même absence de stratégie industrielle, la même faiblesse face aux partenaires extérieurs. Quant aux shows de l’IGF qui exposaient les crimes économiques, ceux qui sont mis à nu ou jetés en pâture au public par le système, ils ont fini par lasser au point que le cirque a fermé ses portes, tant ils montrent une continuité plutôt qu’un véritable sursaut de gouvernance.
Cette continuité s’explique par une carence profonde en pensée économique. Ni Kabila ni Tshisekedi n’ont disposé d’une motivation moderne ou d’une compréhension solide de l’architecture internationale qui encadre les choix économiques. Leurs décisions répondent avant tout à des urgences politiques ou à des négociations de coulisses, rarement à une doctrine cohérente. La RDC avance sans boussole intellectuelle dans un univers géopolitique maîtrisé par des institutions qui, elles, ne manquent jamais de direction. Le FMI, la Banque mondiale et les puissances qui les soutiennent savent exactement ce qu’elles veulent. Elles protègent les créanciers, stabilisent les flux financiers mondiaux et maintiennent une structure où les pays vulnérables restent dépendants. Les dirigeants congolais évoluent dans cet espace sans outils conceptuels capables de défendre l’intérêt collectif.
Le pays en paie le prix année après année. La situation est devenue tellement absurde que l’on glisse vers une nostalgie morbide. Certains finissent par juger « majestueux » l’ère de celui qui a orchestré le pillage systématique de l’économie congolaise après l’indépendance, Mobutu, un dirigeant qui a transformé la prédation en mode de gouvernance tout en étant conseillé, financé et applaudi par le FMI et la Banque mondiale. Cette forme de mélancolie en dit long sur l’effondrement moral et institutionnel qui ravage le pays. Si cette logique continue, rien ne semble empêcher qu’un jour on balaie d’un revers de main les millions de vies brisées, les mains coupées, les villages décimés pendant la colonisation. Il suffira que la misère actuelle paraisse suffisamment insupportable pour que certains finissent par présenter Léopold II comme un administrateur efficace. Une nation qui en arrive à ce point démontre à quel niveau la dégradation économique et politique peut altérer la mémoire collective et banaliser l’horreur.
Ce que les institutions internationales vont jamais nous apprendre
Les doctrines du FMI et de la Banque mondiale ont transformé des pays comme la RDC en vastes étals économiques. Ces institutions ont encouragé la vente de mines, de terres, de forêts, de concessions pétrolières et de toute ressource pouvant attirer un investisseur étranger. La richesse nationale a été réduite à ce qui pouvait être cédé au plus offrant. Dans leur logique, un pays paraît prospère lorsqu’il liquide ses actifs, jamais lorsqu’il cherche à créer de la valeur sur son propre territoire.
Pendant longtemps, les fauves de la finance mondiale se contentaient de nous guetter. Aujourd’hui, ils semblent avoir décidé de nous dévorer. Pendant tout ce temps, aucune stratégie sérieuse n’a été transmise pour développer une capacité économique interne. La RDC n’a reçu aucun soutien pour transformer ses propres richesses, aucun accompagnement pour bâtir des chaînes de valeur solides, aucun outil permettant d’atteindre une souveraineté technologique ou financière. On nous a appris à survivre plutôt qu’à progresser. Les plans imposés par ces institutions ont renforcé la dépendance. Ils n’ont jamais posé les bases d’une économie capable d’avancer vers l’innovation, la productivité et la puissance.
Cependant, la responsabilité ultime revient aux Congolais. Une nation qui refuse la démocratie et le véritable marché des idées, et qui préfère préserver l’ethnocratie au détriment du bien commun, se met en danger pour protéger les intérêts de petites cliques d’entrepreneurs politiques tribaux. Un pays qui refuse d’investir dans son propre potentiel humain finit par livrer sa population aux appétits extérieurs. Cette dynamique nous réduit à une main-d’œuvre sous-payée et à des ressources brutes destinées à enrichir d’autres économies.
Cette absence de vision a engendré un paradoxe cruel. La RDC possède une abondance de richesses, en particulier une force démographique exceptionnelle, mais reste institutionnellement appauvrie. Tant que cette énergie humaine circule sans cadre capable de permettre aux talents de créer de la valeur à travers des produits et des services, la pauvreté continuera de régner malgré l’abondance. Une population laissée à l’état brut subit la prédation au lieu de participer à la transformation. Et tant que les institutions internationales fonctionneront comme des dispositifs qui enchaînent nos choix économiques plutôt que comme de véritables partenaires de développement, la RDC demeurera piégée dans un système pensé pour la fragiliser. Un système qui encourage les prédateurs et étouffe ceux qui tentent de reconstruire.
Au bout du compte, la seule issue passe par une rupture mentale avant toute rupture institutionnelle. Il faut briser les chaînes invisibles qui nous maintiennent dans un rôle de spectateurs, incapables d’imaginer une trajectoire économique différente. La sortie du piège exige de reconnaître la nature exacte de la mécanique financière qui propulse les économies avancées, de comprendre les outils qu’elles utilisent pour multiplier leur valeur, pour transformer leurs idées en puissance, pour convertir des choix collectifs en capital productif. La liberté économique commence par un changement d’imaginaire, un refus d’accepter que notre destin soit écrit ailleurs, et une volonté ferme d’apprendre la magie financière que d’autres maîtrisent depuis longtemps.
Jo M. Sekimonyo, PhD
Économiste politique, théoricien, militant des droits humains, écrivain et chancelier de l’Université Lumumba
