La République Démocratique du Congo est sans doute l’un des rares pays au monde où le contraste entre les revenus de l’élite politique et les conditions de vie de la population atteint un niveau scandaleux. Tandis que le peuple croupit dans une misère multidimensionnelle — sans accès adéquat à la santé, à l’éducation, à un logement décent ou à des infrastructures de base — une poignée de politiciens, souvent sans résultats tangibles, se partagent des rémunérations exorbitantes.

Dans les pays organisés, la rémunération est généralement proportionnelle à l’effort, à la compétence, à l’expérience et surtout au rendement. Chez nous, elle est fondée sur l’arbitraire, le népotisme, la répartition clanique et l’auto-attribution des privilèges. Ce sont les décideurs eux-mêmes qui fixent leurs salaires, dans une opacité volontairement entretenue, se créant ainsi une bulle de confort totalement déconnectée de la réalité du peuple.

Un fonctionnaire peut gagner à peine 1 dollar par jour, tandis qu’un député empoche jusqu’à 30 000 dollars par mois, voire plus pour ceux occupant les plus hautes sphères du pouvoir. Ce déséquilibre choquant est soutenu par une culture du silence : quiconque ose évoquer cette monstruosité risque la marginalisation, voire la répression. Ce système mafieux, habilement déguisé en démocratie, est en réalité une forme de féodalité moderne.

Pire encore, cette logique perverse s’est infiltrée dans toutes les sphères de la société. Le travail n’est plus valorisé. Il ne repose plus sur la compétence, l’efficacité ou le service rendu à la nation, mais sur l’opportunisme et les accointances politiques. Ainsi, on assiste à une société démotivée, où la jeunesse est poussée à rêver de politique non pas pour servir, mais pour s’enrichir rapidement.

Prenons un exemple criant : cela fait près de trois décennies que la RDC est en guerre. Des millions de vies ont été perdues, des familles décimées, des régions entières dévastées. Pourtant, nos politiciens vivent dans le luxe, sans remords, sans responsabilité morale ni sens du devoir. Aucun plan sérieux de sortie de crise, aucun sacrifice personnel pour le redressement national. La souffrance du peuple ne semble les ébranler en rien.

La politique congolaise est devenue une monstruosité, un instrument de prédation sans âme ni boussole éthique. Et ce qui choque davantage, c’est que cette dérive est parfois bénie par certaines institutions religieuses. Des églises, censées prêcher la justice, la compassion et le service du bien commun, deviennent des sanctuaires de complaisance où les puissants viennent blanchir leur image, se faire acclamer, et manipuler les consciences.

Le résultat est une confusion dangereuse entre la foi et la politique corrompue. Ceux qui devraient dénoncer l’injustice se taisent ou pactisent avec elle. Une alliance tacite entre certains leaders religieux et politiques a transformé la foi en outil de domination mentale et la politique en religion d’oppression.

C’est cette fusion toxique entre pouvoir spirituel dévoyé et pouvoir politique corrompu qui fait de notre pays une entité paralysée, victime d’un système qui terrorise moralement, économiquement et socialement ses propres enfants.

Récemment, j’ai suivi avec stupéfaction les membres du gouvernement et certains pasteurs de renom organiser une collecte publique en faveur des populations victimes de la guerre. Voilà une des plus grandes aberrations de notre système de gouvernance : faire croire que la survie du peuple dépend de gestes dits « philanthropiques », quand ce même peuple devrait bénéficier, de droit, d’un encadrement digne, structuré et permanent par ceux-là mêmes qui détiennent le pouvoir d’État.

Au lieu d’assumer leurs responsabilités régaliennes, les dirigeants se mettent en scène comme des bienfaiteurs occasionnels, distribuant l’aumône pour masquer leur incompétence et leur cynisme. La solidarité nationale est ainsi transformée en spectacle, et la souffrance des innocents devient un décor pour polir l’image ternie d’un pouvoir défaillant.

Le plus scandaleux, c’est que cette soi-disant philanthropie s’arrête dès que les caméras s’éteignent. Elle n’est qu’un masque, une mise en scène destinée à manipuler l’opinion. Les véritables solutions sont étouffées, et ceux qui détiennent les leviers de l’État se révèlent être les fossoyeurs mêmes des droits et de la dignité du peuple.

Il faudra bien, un jour, une thérapie de choc. Un réveil collectif. Une refondation profonde de notre contrat social. Car aucun peuple au monde ne s’est libéré de la prédation et du mépris sans résistance, sans courage, sans renversement de paradigme.

Luc Alouma M.

loucasalouma@yahoo.fr

By amedee

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