Ce qui frappe avec une consternante régularité dans notre mode de gouvernance, c’est cette légèreté désarmante avec laquelle les choses les plus sérieuses sont traitées. Une banalisation inquiétante s’est installée, doublée d’une perversion des valeurs, d’une superficialité crasse, et d’un esprit de bassesse devenu presque culturel. Ce comportement, devenu style de vie dans l’administration et les institutions publiques, explique en grande partie le naufrage de nos ambitions collectives et le profond désarroi dans lequel est plongé notre pays.
L’innovation, qui ailleurs est conçue pour améliorer la vie des citoyens, moderniser l’État, et propulser le développement, est ici soit inexistante, soit caricaturée. Toute tentative d’importation ou d’imitation des modèles étrangers se fait sans réflexion, sans adaptation, et souvent avec une ignorance flagrante du contexte. Ce mimétisme vide de substance produit une gouvernance de façade, où les réformes s’arrêtent aux slogans, les institutions aux bâtiments, et les ambitions au discours.
Nous avons partagé le même point de départ que d’autres pays dits du « tiers-monde », et pourtant, nombre d’entre eux ont tracé leur voie vers l’émergence. Pendant ce temps, nous, pourtant mieux dotés en ressources et en potentialités humaines, avons entamé une descente chronique. Le Congo, qui rêvait de diversification industrielle dans les années 1960, se retrouve aujourd’hui sans aucune industrie digne de ce nom. Ce n’est pas une malédiction, mais la conséquence directe de notre incapacité à prendre notre avenir au sérieux.
Nous avons dansé sur nos ruines, chanté sur nos échecs, imité sans comprendre, et dilapidé nos ressources en sombrant dans le tribalisme, la médiocrité et la petitesse d’esprit. L’élite politique se partage les miettes d’un pays affamé, s’accaparant les privilèges pendant que le peuple peine à survivre.
Le plus tragique est peut-être cette incohérence criante entre la forme et le fond : nous sommes l’un des rares pays à disposer d’une architecture institutionnelle complète, à l’image d’une grande démocratie, mais incapable d’en faire un instrument de transformation réelle. Le gouvernement est nominal, l’armée impuissante à garantir la souveraineté, les écoles déséduquent, les églises extorquent, la SNEL brille par ses délestages malgré son monopole, la REGIDESO fournit une eau qu’aucun citoyen n’ose boire, et les institutions de financement comme le FPI deviennent des guichets privés pour les amis du régime.
Quant aux ministères dits stratégiques, notamment ceux de l’agriculture et de l’économie, ils s’enferment dans une bureaucratie bourgeoise où l’on budgétise d’abord les frais de fonctionnement avant même d’imaginer une quelconque politique de relance.
Voilà le vrai chantier du Congo : un changement de mentalité, de rapport au pouvoir, et de culture de gouvernance. Car sans une réforme morale, civique et structurelle en profondeur, nous continuerons à dévorer dans la douleur un pain que nous aurions dû partager dans la joie.
De nombreuses politiques publiques initiées au fil des décennies ont été soit perverties dans leur essence, soit détournées au profit de quelques-uns, au détriment de la collectivité. L’authenticité, par exemple, qui avait pourtant émergé comme un mouvement noble d’affirmation culturelle et identitaire porté par de nombreux pays du Sud, a fini par se transformer en une mascarade de « zaïrianisation », où les biens et les entreprises privées furent arrachés des mains des opérateurs économiques légitimes pour tomber entre celles d’une élite prédatrice, sans vision ni compétence.
Les politiques d’ajustement structurel imposées par les institutions financières internationales, qui visaient à stabiliser et réformer les économies, ont été mal adaptées et encore plus mal appliquées, aggravant la pauvreté à une échelle dramatique. Ce qui aurait pu constituer une base de réformes structurelles s’est transformé en un processus brutal d’appauvrissement des populations, avec une destruction progressive des secteurs vitaux comme la santé, l’éducation et l’emploi public.
La vague de démocratisation, qui devait ouvrir l’ère des libertés, de la justice et de l’alternance, a été méthodiquement récupérée pour renforcer les systèmes autocratiques. Sous couvert de démocratie, c’est la dictature qui s’est institutionnalisée, masquée par des élections truquées, des parlements complices et une justice à la solde du pouvoir.
La priorisation de l’agriculture, pourtant reconnue comme secteur clé de relance économique, s’est muée en un simple discours de prestige. Les programmes agricoles deviennent des moyens d’enrichissement personnel pour les dirigeants, les fonds étant systématiquement détournés au profit de leurs affaires privées, pendant que les paysans continuent à vivre dans la précarité.
Sur le plan économique, les richesses minières, censées financer notre industrialisation, sont troquées contre des infrastructures médiocres, souvent inachevées ou inutilisables, et construites sans aucune exigence de qualité. Le « gagnant » n’est jamais le peuple, mais quelques individus bien placés qui s’enrichissent dans l’opacité, pendant que la majorité s’enlise dans la misère.
Les grands projets de développement, comme Bukanga-Lonzo, les Cinq Chantiers, le Programme des 145 territoires (PDL-145T) ou les routes d’intérêt national, finissent systématiquement en scandales : liquidés sans reddition de comptes, sans évaluation sérieuse, et sans suite judiciaire.
Les rares personnes qui accèdent à des postes politiques ou administratifs de haut niveau se retrouvent rapidement piégées. Conscients de l’instabilité du système et du risque d’être éjectés à tout moment, ils n’ont d’autre réflexe que de s’empresser de piller ce qu’ils peuvent, avant que le chaos les rattrape. Ils deviennent des experts du paraître, maîtres dans l’art de la communication tapageuse, de l’autopromotion, et de la diversion. Sachant pertinemment qu’ils n’ont ni la vision, ni les leviers pour changer quoi que ce soit, ils se réfugient dans le théâtre médiatique pour légitimer leur prédation.
Au fond, c’est une politique du cynisme qui domine, comparable à cette image crue : celle de la souris qui ronge le dessous du pied tout en soufflant pour atténuer la douleur, afin que sa victime ne se réveille pas. Une politique de tromperie subtile, d’exploitation silencieuse, où le pouvoir souffle le mensonge pendant qu’il dévore l’avenir.
Luc Alouma M.
loucasalouma@yahoo.fr
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