La Première Ministre Judith SuminwaLa Première Ministre Judith Suminwa

Le Conseil des ministres du 7 novembre 2025 a surpris autant qu’il a inquiété. 80 minutes seulement pour examiner la situation d’un pays qui figure parmi les plus instables, les plus pauvres et les plus fragiles au monde. Une heure et vingt minutes pour piloter un État-continent de cent quinze millions d’habitants au moment même où toutes les alarmes nationales sont au rouge. 

De prime abord, certains auraient pu y voir une forme d’efficacité ou une volonté de rationaliser les travaux gouvernementaux. Pourtant, la brièveté de cette réunion ne relève ni de la méthode ni de la rigueur. Elle constitue plutôt un signal inquiétant d’une gouvernance qui effleure les problèmes au lieu de les affronter.

En RDC, rien n’autorise une gestion accélérée des urgences, car les urgences sont partout, simultanées et interconnectées. L’année 2025 aura été marquée par une accumulation de crises simultanées. Les violences urbaines, notamment celles perpétrées par les Mobondo, ont déplacé des habitants à Kinshasa même, autrefois considérée comme un refuge relatif. Les inondations menacent déjà les périphéries de plusieurs villes, avec des quartiers entiers construits dans des zones hautement vulnérables. Les infrastructures routières, ferroviaires, sanitaires et éducatives sont dans un état de délabrement chronique. La croissance démographique dépasse de loin la capacité de l’État à fournir les services les plus essentiels. Et dans l’Est, la situation sécuritaire continue de s’enliser, nourrissant une crise humanitaire d’une ampleur rare.

Dans ce contexte, un Conseil des ministres expédié à vive allure apparaît moins comme un choix administratif que comme une fuite en avant. La population attend des réponses concrètes, des orientations claires, une vision coordonnée et une capacité à affronter la gravité des faits. Rien de tout cela n’a émergé de cette réunion express. Au contraire, elle laisse l’impression d’un exécutif en pilotage automatique, incapable d’assumer la profondeur des responsabilités qui lui incombent.

Un ordre du jour dérisoire, loin des urgences vitales du pays

Ce qui choque davantage encore plus que la durée, c’est la légèreté du contenu. Le Conseil des ministres s’est concentré sur un compte rendu du voyage de la Première Ministre à Londres, une communication tardive sur les risques liés à la saison des pluies et une célébration anticipée d’un accord préliminaire avec le FMI. Le reste n’était que des points d’information sur tel ou tel autre sujet. Certes, ces éléments font partie du travail gouvernemental. Mais dans un pays où l’insécurité urbaine augmente, où des millions de personnes tombent dans la faim, où les catastrophes naturelles sont prévisibles et pourtant mal anticipées, où les infrastructures sont au bord de l’effondrement, cet ordre du jour s’apparente à un décalage presque irréel avec le quotidien des Congolais.

Aucune discussion approfondie sur l’insécurité. Aucun débat sur l’effondrement des routes, des ponts et des systèmes de drainage. Aucun examen sérieux de la crise humanitaire à l’Est. Aucune analyse des tensions sociales croissantes. Aucun plan pour répondre à la pauvreté extrême.

Dans des gouvernements structurés et responsables, le Conseil des ministres est le cœur battant de l’action publique. C’est l’espace où les ministres présentent l’état de leurs secteurs, où les blocages sont identifiés, où les réformes sont arbitrées, où les crises sont disséquées, où les décisions sont prises après examen minutieux.

En RDC, ce lieu essentiel semble réduit à une formalité administrative. Les ministres n’y rendent plus compte, les politiques publiques ne s’y articulent plus, les urgences n’y sont plus évaluées avec sérieux. Tout cela trahit une gouvernance superficielle et insuffisante, bien loin de ce que requiert un pays-continent.

Une Primature qui observe au lieu de diriger

Le malaise est plus profond encore. Depuis son entrée en fonction, Judith Suminwa donne l’impression d’exercer ses responsabilités de manière distante. Les interventions paraissent protocolaires. Les décisions importantes semblent déplacées ailleurs. Tout se passe comme si la Première ministre observait la gouvernance du pays au lieu de la diriger. Cette attitude entretient une confusion dangereuse entre les rôles constitutionnels. Le Président fixe les grandes orientations, mais le fonctionnement quotidien de l’État relève de la Primature. C’est à elle de coordonner, arbitrer, anticiper, corriger, et s’assurer que les ministres travaillent de manière cohérente.

Or, l’impression croissante est que Judith Suminwa laisse au Chef de l’État un rôle opérationnel qui n’est pas le sien. Le Président, déjà absorbé par des enjeux diplomatiques et sécuritaires d’envergure, ne peut se substituer à la cheffe du gouvernement. Pourtant, en l’absence d’un leadership ferme à la Primature, c’est ce qui se produit de facto. Le pays se retrouve alors gouverné par une mécanique désarticulée, où les arbitrages tardent, où les initiatives se contredisent et où les priorités se diluent.

La Primature, qui devrait être le moteur technique et politique de l’Exécutif, se transforme en une institution symbolique, presque décorative. Dans un pays moins fragile, une telle situation serait déjà préoccupante. Dans un pays en situation de quasi urgence permanente comme la RDC, elle devient un risque majeur. L’État ne peut affronter de telles crises sans pilotage centralisé, cohérent et engagé.

Est-elle la bonne personne en ce moment de l’histoire de la RDC ?

La situation actuelle appelle une interrogation que beaucoup n’osent pas formuler publiquement mais que la réalité impose. Judith Suminwa est-elle la personne qu’il faut à la place qu’il faut au moment qu’il faut. La gouvernance exige un engagement total, une capacité d’écoute profonde, une discipline de travail rigoureuse, une autorité dans l’arbitrage, une vision stratégique articulée et une présence ferme dans les moments de crise. Rien dans les actes récents de la Primature ne laisse penser que ces qualités sont pleinement exercées.

Au moment où la RDC est le pays présentant la proportion la plus élevée d’extrême pauvreté au monde, où l’espérance de vie stagne, où la classe moyenne disparaît et où une génération entière de jeunes diplômés se retrouve condamnée au chômage, la Première ministre ne montre aucun signe de mobilisation exceptionnelle. Il n’y a ni vision programmatique forte, ni plan d’urgence national, ni réformes accélérées, ni communication stratégique à la hauteur de tous les défis.

Les ministres, quant à eux, donnent l’impression d’évoluer en freelance. Chacun semble davantage occupé à plaire au Président qu’à rendre des comptes à la cheffe du gouvernement. Les entreprises publiques suivent la même logique. La coordination gouvernementale se délite. Les réformes stagnent. La gouvernance devient fragmentée. Tout cela renvoie à un vide de leadership là où la RDC avait besoin d’une direction forte.

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La pauvreté comme réalité vécue, pas comme chiffre abstrait

La pauvreté n’est pas un pourcentage. C’est une douleur, une fatigue, une humiliation quotidienne. Elle se lit dans les enfants qui ne vont plus à l’école parce que leurs parents ne peuvent pas payer les frais (tous les enfants n’étudient pas dans les écoles publiques où il y a la gratuité). Elle se lit dans les femmes qui parcourent des kilomètres pour trouver un centre de santé qui n’a parfois ni médicaments ni personnel. Elle se lit dans les hommes qui quittent leur maison à l’aube dans l’espoir de trouver un travail informel qui ne suffira pas à nourrir leur famille. Elle se lit dans les familles englouties par les inondations chaque saison, faute de drainage, faute de prévention, faute d’État.

Face à cette réalité, la brièveté d’un Conseil des ministres envoie un message glaçant. La gravité de la situation n’est ni ressentie ni assumée. L’État semble marcher à vue, sans boussole politique, sans souffle réformateur, sans conscience de l’effondrement social en cours.

Il devient impossible de guider un pays au bon port lorsque la distance entre la gravité des faits et la légèreté des actes devient un gouffre. Gouverner la RDC est un travail de longue haleine, exigeant, minutieux et intensif. Un travail qui demande du temps, de l’écoute, de la préparation, du courage et une capacité à affronter les dilemmes, pas à les esquiver.

Le Conseil des ministres du 7 novembre n’a pas seulement été expéditif. Il a été révélateur d’une manière de gouverner qui ne mesure pas la profondeur des crises ni la fragilité extrême du pays.

La RDC peut se relever, mais elle ne se relèvera pas avec un Exécutif qui avance comme un canard boiteux. Elle a besoin d’un leadership conscient de la gravité du moment, engagé dans les faits, structuré dans la méthode et capable de consacrer le temps nécessaire à la gestion d’un pays si vaste et si meurtri.

Amédée Mwarabu

By amedee

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