Luc Alouma MwakobilaLuc Alouma Mwakobila

La Semaine nationale du Climat, organisée par le ministère de l’Environnement, du Développement durable et de la Nouvelle économie du climat, s’est achevée ce 30 octobre 2025. Je tiens à féliciter sincèrement cette initiative qui a permis de rassembler diverses couches sociales autour des enjeux cruciaux liés au climat. Il n’y a pas de meilleure réponse à l’urgence climatique que le dialogue structuré et inclusif, fondé sur le partage des savoirs, l’écoute des réalités du terrain et la co-construction des solutions.

Ayant eu l’honneur de participer activement à cette rencontre en réponse à une invitation officielle, je voudrais ici formuler quelques observations et propositions pour renforcer l’impact de ce genre d’événements à l’avenir.

I. Points positifs à saluer :

– La qualité des thématiques abordées ainsi que celle des intervenants a été remarquable.

– L’objectif de sensibilisation a été largement atteint, bien au-delà des attentes.

La prise de conscience environnementale gagne progressivement les esprits et devient un enjeu citoyen partagé.

II. Faiblesses à corriger et pistes d’amélioration :

1. Une approche sectorielle trop cloisonnée :

Les enjeux environnementaux ne peuvent être réduits à la seule sphère d’action du ministère de l’Environnement. Ils doivent être transversaux, intégrés dans toutes les politiques publiques : économie, énergie, agriculture, éducation, infrastructures, finances, etc. Une réforme écologique efficace appelle une coordination interministérielle forte et une vision holistique du développement durable.

2. Un déficit de ressources humaines et techniques :

Le basculement vers une nouvelle économie du climat exige des compétences nouvelles, une ingénierie institutionnelle adaptée, ainsi qu’une montée en capacité des administrations publiques. À ce stade, il est clair que notre pays ne dispose pas encore des moyens humains, techniques et scientifiques suffisants pour porter cette transition ambitieuse.

3. Vers une nouvelle économie à construire :

La situation actuelle exige plus qu’une adaptation ponctuelle de nos politiques publiques. Elle requiert la refondation d’une nouvelle économie du climat, à la fois théorisée et opérationnelle, reposant sur la durabilité, la justice climatique, la sobriété énergétique, et l’innovation. Cette dynamique appelle un leadership politique audacieux, des cadres réglementaires cohérents, et une gouvernance participative. Le défi climatique n’est pas une simple variable à intégrer. C’est le prisme à travers lequel doivent être relues, redéfinies et redéployées toutes nos politiques publiques.

III. Recommandations stratégiques pour la mise en œuvre d’une politique environnementale efficace et durable en RDC

À l’issue de la Semaine nationale du Climat 2025, je souhaite formuler deux recommandations majeures, qui s’inscrivent dans la vision d’un développement durable, inclusif et adapté aux réalités de la RDC :

1. Création d’un organe intégré de vulgarisation rurale : une approche holistique et territoriale

J’ai particulièrement salué l’initiative portée par la Ministre de l’Environnement, Professeure Marie Nyange, relative à la mise en place d’une Brigade forestière.

Cette mesure va dans le sens d’une meilleure présence technique sur le terrain.

Toutefois, je propose d’aller plus loin :

La création d’un organe unique et intégré de vulgarisation rurale, rassemblant dans une seule structure les techniciens des domaines forestier, agricole, environnemental et hydrologique.

Cet organe agirait comme une interface directe entre la science et les populations rurales, en assurant la transmission des bonnes pratiques, la collecte des données de terrain, et la co-construction des solutions adaptées.

Plutôt que de multiplier des brigades sectorielles isolées, cette approche transversale permettrait une synergie des compétences et une rationalisation des ressources publiques, tout en respectant les dynamiques locales.

2. Création d’une nouvelle capitale verte : une vision de rupture pour un avenir durable

Face à l’urbanisation chaotique et à la saturation structurelle de Kinshasa, il est temps d’envisager une réponse à la hauteur des défis.

Je soutiens avec conviction la proposition audacieuse de créer une nouvelle capitale verte de la République Démocratique du Congo, portée sous le leadership éclairé du ministère de l’Environnement.

Cette nouvelle ville devrait être pensée dès le départ comme un modèle de développement durable : énergie propre, gestion intégrée des déchets, mobilité verte, infrastructures écologiques, gouvernance territoriale innovante, etc. Elle constituerait à la fois :

– une réponse structurelle à l’engorgement de Kinshasa ;

– un levier de transformation des mentalités et des pratiques de gouvernance urbaine ;

– un symbole fort de l’engagement du pays en faveur de la transition écologique.

Kinshasa, bien qu’historique, est aujourd’hui confrontée à des défis presque irréversibles. Ses profondes dégradations, couplées à une démographie galopante et à une culture urbaine peu orientée vers le changement, rendent les investissements structurels très peu rentables à long terme. La RDC doit rompre avec la gestion de crise permanente, pour adopter une vision d’avenir ambitieuse, audacieuse et réaliste.

IV. Pour un repositionnement stratégique du discours climatique de la RDC à la COP30 : plaidoyer pour une narration adaptée à notre réalité

À l’approche de la COP30, il est impératif que les experts congolais adoptent un changement de posture narrative afin de refléter fidèlement la spécificité de notre pays dans le débat climatique mondial. Il ne s’agit pas simplement de rejoindre le chœur alarmiste sur les effets du réchauffement climatique, mais de positionner la RDC comme pays solution face à la crise climatique planétaire.

La RDC ne doit pas se contenter de participer aux négociations climatiques internationales en adoptant un discours générique. Elle doit défendre une position singulière, offensive et stratégique, en insistant sur :

– sa naturalité forestière préservée,

– ses besoins de développement énergétique,

– et son droit à une compensation climatique juste et différenciée.

1. Un discours climatique cohérent et différencié

Nous ne devons pas reproduire mécaniquement le discours des pays industrialisés ou émergents, qui ont effectivement des raisons objectives de sonner l’alarme sur les émissions massives de gaz à effet de serre.

À l’inverse, la RDC demeure l’un des rares pays au monde à présenter un bilan carbone quasi-neutre, voire positif, grâce à son immense capital forestier intact, notamment dans la grande cuvette centrale.

Notre discours devrait mettre l’accent sur :

– Nos potentialités en tant que puits de carbone mondial ;

– La conservation active de nos forêts tropicales primaires ;

– Notre rôle stratégique dans la régulation du climat planétaire ;

– Nos besoins en renforcement des capacités pour maintenir et valoriser cet équilibre naturel.

2. Clarifier notre réalité environnementale

La pollution mondiale n’est pas de notre fait. Notre cuvette centrale reste largement vierge et écologiquement stable. Les zones déboisées par les plantations coloniales ont, dans la majorité des cas, été naturellement recolonisées par la forêt, grâce à la résilience exceptionnelle de nos écosystèmes.

Même les activités rurales comme l’agriculture sur brûlis, souvent dénoncées, n’ont pas provoqué de rupture écologique majeure, notamment grâce au caractère ombrophile et sempervirent de notre forêt équatoriale.

Quant à l’usage du bois mort et du charbon de bois, bien qu’à encadrer, il reste à usage domestique, sans impact industriel significatif.

3. Une transition énergétique adaptée à notre contexte

Nous devons affirmer une vision différenciée de la transition énergétique. Les pays du Nord ou émergents s’engagent dans une transition de substitution remplacer les énergies fossiles par des énergies renouvelables. Pour la RDC, il ne s’agit pas de transition, mais d’accession à l’énergie moderne.

Notre enjeu principal est l’augmentation et la diversification de la consommation énergétique par habitant afin de soutenir notre développement. Il est donc crucial de ne pas confondre :

– Énergie de développement (électricité, solaire, hydro, etc.)

– avec énergie de survie (bois de chauffe, charbon, etc.)

Nous devons corriger les amalgames souvent répandus dans les esprits, qui tendent à considérer notre faible émission comme une vertu, alors qu’elle est le reflet d’un sous-développement énergétique profond.

4. Plaidoyer pour une gouvernance structurée de la politique climatique en RDC

Une triste réalité persiste en matière d’appui institutionnel environnemental en République Démocratique du Congo : la multiplicité d’acteurs nationaux et internationaux intervenant sur les mêmes thématiques climatiques, souvent sans coordination, sans cadre commun, et avec des objectifs parfois davantage pécuniaires qu’environnementaux.

Loin de revendiquer ici un monopole étatique sur les fonds climatiques, il est cependant légitime et urgent de rappeler que l’État est le détenteur de la légitimité première et exclusive devant les populations congolaises. À ce titre, il ne peut être marginalisé dans la définition, l’exécution ou le suivi des politiques publiques liées à l’environnement et au climat.

Trop souvent, les financements internationaux évitent les canaux institutionnels pour être canalisés à travers des structures privées étrangères, des ONG, ou des projets parallèles qui contournent les mécanismes de planification de l’État. Cette pratique, bien que parfois motivée par la volonté d’efficacité, affaiblit  dangereusement la cohérence de l’action climatique, favorise la duplication des efforts, et conduit à :

– la dispersion des ressources financières,

– l’inefficacité des interventions sur le terrain,

– l’absence de suivi harmonisé des impacts réels,

– et, dans certains cas, la disparition inexpliquée des fonds alloués en raison d’audits lacunaires et de gouvernance peu exigeante.

Ce désordre managérial affecte directement la lisibilité des politiques publiques aux yeux des populations, notamment :

– Les peuples autochtones et chefferies coutumières dénoncent l’absence de retombées concrètes des promesses environnementales faites en leur nom.

– Les méthodes d’intervention diffèrent d’un projet à l’autre pour un même objectif, brouillant le message de l’État et décourageant les dynamiques communautaires.

– La temporalité limitée des financements empêche toute durabilité des projets mis en œuvre.

5. Une gouvernance forte pour une souveraineté climatique

Face à cette situation préoccupante, plaidons pour la création d’un Conseil Supérieur de la Nouvelle Économie du Climat en RDC.

Cet organe stratégique et souverain aura pour mission de :

– Valider et coordonner tous les projets et programmes environnementaux sur le territoire ;

– Servir d’interface officielle entre la RDC et ses partenaires internationaux et locaux dans le domaine climatique ;

– Garantir la transparence, la redevabilité et la cohérence des actions entreprises dans le cadre de la transition énergétique, de la conservation forestière et du développement durable ;

– Assurer une convergence entre les priorités nationales, les savoirs locaux, et les exigences internationales.

Ce Conseil pourrait être composé de :

– Représentants des institutions étatiques (présidence, environnement, plan, finances, énergie, etc.) ;

– Experts indépendants issus de la société civile, des universités, des communautés locales ;

– Et des partenaires techniques et financiers agissant en concertation et non en substitution de l’État.

Conclusion

Il est temps que la RDC affirme sa souveraineté climatique et se dote des outils institutionnels adaptés pour conduire, avec cohérence, transparence et efficacité, une politique environnementale à la hauteur de ses enjeux et de son immense capital naturel.

Sans cela, les financements continueront à se diluer, les projets à s’éteindre sans résultats durables, et les communautés à se désolidariser d’une cause pourtant universelle.

Luc Alouma Mwakobila

Expert en économie rurale et de développement

Chercheur et écrivain en politiques publiques de développement

Expert en fiscalité des marchandises du commerce international

By amedee

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