Il semblerait que le gouverneur de la Banque Centrale du Congo (BCC) ait été auditionné récemment par la Commission économique et financière de l’Assemblée nationale. Cependant, alors même que les conclusions de cette enquête parlementaire ne sont pas encore rendues publiques, des réactions précipitées émergent dans l’espace public pour justifier, parfois avec une légèreté déconcertante, l’action monétaire entreprise. Le plus troublant est que ces réactions émanent davantage de journalistes, d’analystes autoproclamés, plutôt que des techniciens eux-mêmes directement impliqués dans la gestion monétaire. Le débat semble ainsi se déplacer dangereusement du champ des faits vers celui des impressions.
Face à cette situation, des questions fondamentales s’imposent : pourquoi cette indifférence institutionnelle ? Pourquoi persévérer dans l’erreur au lieu de procéder à des ajustements rationnels ? Pourquoi le silence des experts et la cacophonie des non-spécialistes ? Et surtout, pourquoi continuer à brandir des concepts théoriques alors que la population souffre d’une précarité croissante, étranglée par une situation économique confuse ?
Il est utile de rappeler que les décisions en matière monétaire et économique doivent viser, en priorité, à améliorer les conditions de vie des citoyens. Lorsqu’une mesure, même bien intentionnée, ne produit pas les résultats escomptés, la responsabilité politique et institutionnelle impose de la réévaluer et, si nécessaire, de la corriger. Or, même les partisans les plus proches de l’actuelle direction de la BCC admettent que l’appréciation du franc congolais n’a pas encore conduit à une stabilité monétaire réelle, et encore moins à une amélioration tangible du pouvoir d’achat.
Il convient aussi de revenir sur un point essentiel souvent négligé dans l’analyse publique : l’actuel gouverneur de la BCC a hérité d’un taux de change relativement stable. En effet, depuis 2024 et durant les mois qui ont suivi, le franc congolais évoluait autour d’un plateau de stabilité situé à environ 2 800 CDF/USD, une tendance consolidée avant sa prise de fonction. Dans ce contexte, l’option de maintenir ce niveau d’équilibre – fruit d’un ajustement naturel entre l’offre et la demande de devises – aurait pu constituer une base stratégique de continuité et de prévisibilité.
Malheureusement, l’orientation choisie semble avoir privilégié une politique de redressement monétaire brutale, avec pour justification une supposée « surchauffe » monétaire. Mais cette surchauffe n’est pas attestée par les données.
Au contraire, les indicateurs macroéconomiques montrent une stagnation relative, sans pression excessive ni inflation galopante, ce qui jette un doute sérieux sur la pertinence d’une telle mesure.
Ainsi, en tentant de « corriger » une situation qui n’était pas en déséquilibre manifeste, la politique monétaire actuelle semble avoir provoqué un désalignement entre les taux de change et les réalités économiques, entraînant une appréciation artificielle du franc congolais qui peine à se traduire en bénéfices pour les consommateurs et producteurs.
Nous devons, dès lors, appeler à une réévaluation urgente des politiques en cours, menée cette fois avec rigueur scientifique, objectivité institutionnelle et respect du vécu des populations. Car le salut de l’économie congolaise ne viendra ni des théories plaquées, ni des envolées médiatiques, mais bien d’une gouvernance éclairée, cohérente et sensible aux souffrances du peuple.
Comment prétendre restaurer un équilibre monétaire devenu obsolète, sans courir le risque d’exhumer un cadre économique dépassé par les réalités actuelles ? Toute tentative de retour à un ancien modèle de stabilité, sans tenir compte des mutations économiques structurelles et de l’inflation persistante à l’échelle mondiale, revient à faire de la politique monétaire une manœuvre rétrograde, vouée à l’échec.
La logique d’une stabilisation par l’appréciation de la monnaie nationale – rare et difficile à soutenir dans les économies dominantes – devient presque irréaliste pour une économie comme la nôtre, structurellement fragile, peu diversifiée, et faiblement industrialisée. Pire, notre système économique souffre d’un manque criant d’encadrement institutionnel, les interactions entre les différentes autorités économiques étant quasi inexistantes.
Dans un tel contexte, la Banque Centrale du Congo (BCC) ne peut et ne doit pas agir de manière isolée. Elle doit travailler sous l’impulsion et le cadrage du gouvernement central, en parfaite synergie avec les politiques budgétaires, fiscales et structurelles. Sinon, l’action monétaire devient une opération aveugle dépourvue de précaution, dont les conséquences contribuent davantage à affaiblir la résilience de l’État face aux défis majeurs de gouvernance.
La monnaie n’est pas un bien économique comme un autre. Elle est le vecteur fondamental de confiance dans l’économie, car sa détention doit garantir une capacité d’acquisition proportionnelle à la force de l’économie réelle. Dès lors que cette capacité s’amenuise – comme c’est actuellement le cas –, ce n’est pas seulement le franc congolais qui perd de la valeur, c’est la confiance collective qui s’effondre.
Au lieu de maintenir le pays dans une attente passive et incertaine d’un hypothétique retour à la stabilité, il serait plus sage et plus responsable de reconnaître l’erreur de diagnostic économique. En effet, aucun outil monétaire solide et approprié n’a été mobilisé pour accompagner l’appréciation brutale de la monnaie. Les marchés, eux, ont déjà réagi : la consommation stagne, les prix restent élevés, et les ménages s’enfoncent dans la précarité. Miser sur d’autres effets de transmission imaginaires, c’est nier la réalité du terrain.
Malheureusement, dans notre système étatique, les erreurs de gestion – même les plus lourdes de conséquences – ne sont jamais traitées comme des fautes graves ou des atteintes à la nation. Elles sont banalisées, politisées ou simplement ignorées. Les responsables de telles dérives ne rendent jamais compte, protégés par une culture d’impunité où la politique prend le pas sur la vérité, et où les morts silencieuses des citoyens sont effacées par le vacarme des discours déconnectés d’humanisme.
Luc Alouma M.
loucasalouma@yahoo.fr
