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En République Démocratique du Congo, l’économie est souvent perçue à travers une lentille réductrice, celle de la dualité entre l’économie formelle et informelle, fonctionnel et souterraine. Nombreux sont ceux qui stigmatisent l’économie informelle comme le principal frein à la stabilité économique et à la réalisation des prévisions macroéconomiques. Pourtant, cette vision simpliste et superficielle ne tient pas compte de la complexité profonde qui structure véritablement notre système économique. Loin d’être une simple économie souterraine ou une sphère marginale, l’économie informelle représente en réalité un mécanisme de résilience face aux échecs répétés des politiques économiques, ainsi qu’aux exclusions sociales qu’elles engendrent. Cependant, la véritable dynamique économique en RDC repose sur une dualité beaucoup plus profonde que celle opposant économie informelle et économie formelle, ou encore entre l’économie globale et l’économie rurale.

 

Cette dualité est intrinsèquement liée à la désintégration progressive des facteurs et des produits qui, historiquement, ont fondé notre économie nationale. Elle se manifeste dans deux mondes économiques parallèles, qui coexistent sans jamais véritablement se croiser ni se renforcer mutuellement.

 

D’un côté, il y a une élite économique, reliée au modèle de vie occidental, souvent déconnectée de la réalité quotidienne de la majorité de la population. Cette élite vit dans l’opulence, avec des salaires exorbitants pouvant atteindre des dizaines de milliers de dollars par mois. Elle fréquente des hôtels de luxe, possède des biens ostentatoires et jouit d’un pouvoir d’achat insensible aux réalités des masses populaires, profite enfin des opportunités économiques ou politiques plutôt que des activités proprement dites. Ce groupe profite d’une économie qui lui est propre, structurée autour de la monnaie forte et de mécanismes financiers bancaires.

 

De l’autre côté, se trouve un peuple qui vit dans une pauvreté extrême, parfois sous le seuil de survie, avec des revenus ne dépassant pas 2 $ par jour par ménage. Dans cette sphère, l’économie fonctionne avec une monnaie fiduciaire fragile, le pouvoir d’achat est quasi inexistant, et les possibilités d’emploi, de création de richesse ou d’épargne sont quasi nulles. Les employés autonomes et dépendants n’ont pour seule option que de s’adapter à ce qu’elles ont à leur disposition, c’est-à-dire une économie parallèle qui, bien que formelle, leur permet de survivre. Cette masse représente le facteur travail dans notre articulation économique, mais il reste souvent ignoré, négligé et marginalisé par les politiques publiques.

La grande erreur de la gouvernance actuelle, et des analyses économiques qui en découlent, est de vouloir appliquer des théories économiques standardisées, basées sur des postulats classiques ou néoclassiques aux réalités congolaises. Les modèles économétriques, souvent empruntés aux doctrines classiques, sont inapplicables dans le contexte de la RDC. Les mêmes recettes qui fonctionnent dans des économies stables et intégrées produisent des résultats contradictoires dans notre contexte aussi polarisé et dysfonctionnel. En imposant des politiques économiques basées sur des modèles étrangers, sans tenir compte des particularités locales, l’État congolais condamne les efforts de régulation et de stabilisation à l’échec. La corruption, la mauvaise gestion et la faiblesse des institutions renforcent encore cette distorsion entre les deux sphères économiques.

Le budget de l’État, par exemple, devient une simple mascarade, incapable de véritablement réguler ou de favoriser une croissance inclusive. Au lieu d’être un levier pour l’émergence d’une économie solidaire, il se transforme en un outil de renforcement des privilèges d’une élite restreinte. Les riches, au sein de leur système économique fermé, s’octroient un monopole non seulement sur les lois et les finances, mais également sur l’accès aux ressources naturelles et aux opportunités économiques juteuses. Pendant ce temps, les masses populaires, exclues de ce système, cherchent à se débrouiller comme elles le peuvent, dans une économie certes formelle mais condamnée à l’aménuisement.

Pour comprendre pourquoi notre économie ne peut émerger, il est essentiel d’adopter une nouvelle approche, une vision pragmatique et réaliste qui tienne compte de la complexité de notre système économique. La solution ne réside pas dans une simple formalisation de l’économie informelle ou dans la mise en place de politiques macroéconomiques classiques, mais dans la création d’un véritable système économique intégré qui fasse converger les deux mondes. Il est impératif de rompre avec la logique actuelle qui, au lieu de favoriser l’inclusion, perpétue la division.

Les réformes nécessaires doivent se fonder sur des solutions spécifiques et adaptées aux réalités locales. L’État doit repenser ses politiques agricoles, ses stratégies industrielles et ses approches de régulation financière. Il doit comprendre que l’économie rurale, tout comme l’économie informelle, n’est pas un obstacle à la croissance, mais bien une composante essentielle de celle-ci. Il faut, par exemple, accorder une attention particulière à l’encadrement et à l’appui des petites exploitations agricoles, car c’est elles qui nourrissent la majorité de la population et contribuent à la stabilité économique du pays. Mais ce n’est pas tout. Il faut surtout briser le parallélisme de notre économie formelle à travers lequel s’épuisent les énergies gouvernementales.

Le défi de la RDC aujourd’hui est de créer une passerelle entre ces deux mondes économiques. Cela nécessite une gouvernance plus inclusive, une gestion plus transparente des ressources, et une répartition équitable des richesses. Il s’agit aussi de repenser la structure économique globale et d’adopter des politiques qui favorisent l’émergence de tous les facteurs qui contribuent aux efforts productifs, en particulier ceux issus de la masse laborieuse.

L’émergence de notre économie ne pourra se faire que si nous reconnaissons cette dualité et si nous mettons en place les solutions adaptées pour combler ce fossé. Ignorer cette réalité, c’est condamner notre pays à une croissance inégale, incapable de répondre aux besoins essentiels de sa population. Pour cela, il est impératif d’intégrer toutes les composantes de notre économie dans un projet de développement global, cohérent et, surtout, équitable. Il existe des solutions viables, mais elles nécessitent une prise de conscience collective et une volonté politique forte.

Luc Alouma 

loucasalouma@yahoo.fr

By amedee

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