Kinshasa, 2 septembre 2025. La Cour de cassation a condamné Constant Mutamba à trois ans de travaux forcés, à 5 ans d’inéligibilité et à rembourser 20 millions de dollars pour détournement de fonds. Si le verdict est présenté comme une victoire de la justice, le procès révèle surtout une justice sélective : derrière Mutamba, un réseau qui lie Zion Construction à l’Inspection générale des finances et à son ancien patron Jules Alingete demeure intouchable, tandis que l’ex-ministre devient le fusible médiatique d’un système plus vaste et opaque.
Mutamba, un ministre réformateur en apparence
Lorsque Constant Mutamba prend les rênes du ministère de la Justice, les attentes sont immenses. L’appareil judiciaire, miné par la corruption et les lenteurs, semblait attendre un souffle nouveau. Mais très vite, les promesses de réformes s’évaporent. Aucun plan crédible de modernisation, aucune avancée pour renforcer l’indépendance des magistrats, aucune mesure concrète pour restaurer la confiance. Son mandat se réduit alors à du clientélisme déguisé en réforme, de la mise en scène érigée en politique, et de la fanfaronnade en guise de bilan.
En novembre 2024, Mutamba organise les États généraux de la justice. L’événement, présenté comme fondateur, dresse un tableau lucide et sévère du système judiciaire. Le rapport final décline 359 propositions censées tracer une voie de réforme. Mais au lieu de rallier la profession, il déclenche une tempête : plusieurs magistrats dénoncent une falsification du document, affirmant que le rapport publié ne correspond pas à celui validé en plénière. Certains vont jusqu’à envisager une action en faux en écriture contre les responsables de cette manipulation.
Le symbole le plus criant de ses contradictions reste la désignation de son père, Élie Tungunga Kasongo, comme suppléant direct à l’Assemblée nationale. Un népotisme flagrant qui a achevé d’écorner son image de « rénovateur ». À cela s’ajoutent ses outrances verbales, notamment ses menaces répétées de recourir à la peine de mort, distribuée à tour de bras dans ses discours. Une posture martiale qui a fini par embarrasser le gouvernement tout entier.
Casseroles électorales et populisme
Déjà avant son procès, Mutamba traînait de lourdes « casseroles ». En janvier 2024, un enregistrement audio compromettant circule : on y entend l’ex-ministre négocier avec un cadre de la CENI dans la province de Lomami, proposant : « J’ai besoin d’un plan B, ça veut dire me rassurer un package de voix, pour ne pas être surpris. C’est à vous de me dire : au niveau national, je pompe autant, au niveau provincial, je pompe autant. Et puis, moi je vais beaucoup vous aider vous allez aimer papa…. Vous voyez Boma le Dircab du Questeur (de la CENI), c’est moi qui l’ai placé. Je suis en contact permanent avec les directeurs de la CENI, jusque maintenant je parle avec le Questeur, parce que nous avons le même regroupement. Mais je n’attends pas que ça vienne de Kinshasa… on ne sait jamais… je veux finir mon histoire ici… Au moment où je vous parle j’ai croisé certains députés à l’intérieur… en train de corrompre les jeunes gens avec les machines à voter. Moi je ne voudrais pas rester en marge. Au lieu de traiter avec eux, moi je traite avec vous directement. Maintenant là, je donne d’abord 5K (5.000 $)….et puis le soir ou demain matin quand on a les résultats consolidés de votre part, je donne encore 5K ».
Voici l’homme à qui reviendra, 6 mois plus tard, la charge de redresser la justice congolaise que tout le monde dit malade, dans un pays que tout le monde dit corrompu !
À ces faits d’arme, s’ajoute sa décision controversée : la libération massive de détenus à Makala, dont de nombreux Kulunas, ces bandes criminelles qui terrorisent Kinshasa. Parmi eux, Djendjen, ancien détenu pour homicide, remis en liberté par Mutamba et impliqué dans un nouveau meurtre quelques mois plus tard.
Une défiance assumée envers la justice
Le procès Mutamba a aussi été marqué par un bras de fer inédit avec l’institution judiciaire. Refusant de comparaître, l’ex-ministre déclarait publiquement le 26 mai dernier au Palais de justice de Kinshasa : « Celui qui fait l’objet d’enquêtes pour corruption (le PGR Mvonde) ne peut légalement initier une action contre le ministre de la Justice. » Une contestation de légitimité transformée en acte de défiance publique.
Le scandale Zion Construction
C’est pourtant une affaire financière qui aura eu raison de Mutamba. Le 16 avril 2025, la CENAREF bloque une transaction suspecte de près de 20 millions de dollars, initiée par le ministère de la Justice au profit d’une société inconnue : Zion Construction SARL.
Cette entreprise, enregistrée à peine un an plus tôt avec un capital de 5 000 dollars, n’a aucune expérience dans le BTP. Ses fondateurs ? Ange Inamahoro, 34 ans, employée de la Rawbank (49 % des parts), et Willy Musheni Enemi (51 %). Tous deux très proches de Jules Alingete, alors patron de l’Inspection générale des finances.
Les révélations s’accumulent : adresse fictive, absence de siège réel, absence d’agrément au ministère des Infrastructures, absence d’employés. Tout laisse penser à une société-écran montée pour siphonner des fonds publics.
Une mafia financière d’État ?
Le lien avec Jules Alingete saute aux yeux. L’immeuble déclaré par Zion Construction comme siège social – 10, avenue Wagenia, Gombe – est en réalité lié à une société chinoise ayant collaboré avec l’IGF sous sa supervision. De là à conclure à une opération organisée par un réseau plus vaste, il n’y a qu’un pas.
Rose Mutombo, prédécesseure de Mutamba au ministère de la Justice, apparaît également dans le dossier. C’est Jules Alingete qui lui taille un compte hors trésor public en lui attribuant, sans qualité et en toute violation de la loi, un petit pactole qui se compte millions de dollars : d’abord, 5% des fonds payés par l’Ouganda ; et ensuite la partie des fonds FRIVAO destinés aux dommages à l’environnement. Une opération jugée illégale par plusieurs experts et refusée en son temps par l’ancien ministre des Finances, Nicolas Kazadi.
Par ailleurs, l’opinion ne s’explique pas que la Cour de cassation n’ait pas voulu poursuivre Rose Mutombo après que Constant Mutamba ait déclaré que 17 millions de dollars américains avaient disparu de ce compte du Ministère de la Justice sous sa gestion.
Mutamba a simplement poursuivi la mécanique : deux versements de 2,64 millions auraient déjà été encaissés par son cabinet, sans traçabilité, et environ 32 millions destinés aux dommages à l’environnement ont atterri dans le compte du ministère de la Justice. D’où le pot aux roses : imaginer un projet de prison à Kisangani afin de les siphoner.
Le goût amer d’un procès sélectif
La condamnation de Mutamba est amplement méritée. Il s’agit certes d’une avancée significative dans la lutte contre la corruption et l’expression de l’indépendance des magistrats, d’autant plus qu’à travers ses partisans, Mutamba n’hésitait pas à distiller le message que rien ne pouvait lui arriver car bénéficiant de la protection du Chef de l’Etat. Aucune intervention n’a obstrué le travail des juges. Mais l’absence d’enquête sur Rose Mutombo et Jules Alingete interroge. Comment croire que Mutamba a agi seul, alors que les structures mises en place dépassent de loin son cabinet ?
Pour beaucoup, ce procès n’a été qu’une opération de communication : sanctionner un fusible visible, Mutamba, tout en préservant les véritables architectes d’un système de prédation. Voilà la nouvelle recette du populisme judiciaire !
Mutamba n’aura été qu’un fusible. Le courant, lui, continue de circuler.
Le procès Mutamba illustre une constante de la gouvernance congolaise : des procès-spectacles qui sacrifient quelques figures, mais laissent intactes les systèmes et pratiques opaques.
Mutamba, présenté comme un « rénovateur », aura fini par incarner la continuité des dérives qu’il prétendait combattre. Mais sa chute, loin de marquer un tournant, révèle surtout les limites d’une justice sélective, prompte à frapper les imprudents mais timorée face aux véritables intouchables.
En définitive, ce procès laisse un goût amer : celui d’une justice incomplète, d’un système qui se protège lui-même, et d’un pays où les locomotives des réformes, comme celles du rail, finissent trop souvent par s’arrêter en chemin.
Mutamba, miroir d’une jeunesse en détresse
Le procès Mutamba révèle un drame plus profond : la misère morale, intellectuelle et matérielle d’une jeunesse livrée à elle-même. Désœuvrée, sans perspectives, une partie d’entre elle se rallie au premier bateleur venu, en quête d’un sens ou d’une échappatoire.
Porté par un discours fanfaron et populiste, il a su capter les frustrations sociales d’une génération en détresse, mais pour les canaliser dans des dérives dangereuses, loin de toute alternative constructive. Lors des attaques contre certaines ambassades et résidences diplomatiques à Kinshasa en janvier 2025, son nom a été régulièrement cité comme instigateur de ces mouvements de rue.
Accros à l’alcool, aux drogues et à la violence de rue, ces jeunes se sont retrouvés en Mutamba, et ils ont vu en lui une figure de leader alternatif, un “général de la rue’’ à la manière de l’ivoirien Charles Blé-Goudé, incarnation monstrueuse d’un désespoir social nourri par les fragilités persistantes du contexte socio-économique et politique du pays. Une jeunesse à la dérive est une proie des faux prophètes.
Julie AKAMBO wa METE, analyste politique